Du ROI (Return On Investment) au RONI (Risk Of Non-Investment)

La question du ROI, qui embarrasse tant dans les métiers de la communication, est légitime. Un individu qui dépense de l’argent est en droit de savoir ce qu’il a en échange de son argent. Cela s’appelle une transaction. Le ROI est le produit de cette transaction, ce que j’achète. Même si la transaction (l’investissement) comporte une part de risque.

Il n’y a pas de raison que les médias sociaux fassent exception. Investir dans le web social ne doit pas être un jeu de hasard pour les marques, entreprises et organisations: je mets un peu d’argent, ça peut tomber, mais la probabilité la plus élevée est que je ne voie rien venir en retour…

Bien sûr, on peut définir les indicateurs de mesure d’une stratégie web social. La pertinence des critères donnera toujours lieu à des discussions infinies, mais les données quanti possibles sont nombreuses : trafic, clics, action, nombre d’abonnés, de fans, position d’un contenu dans le moteur de recherche, partage, etc.

Qui dit indicateurs ne dit pas mesure du ROI, mais c’est un début.

Le problème du ROI n’est pas là. Le problème est qu’il est un élément d’un système économique toutes choses égales par ailleurs.

Si je mesure un retour sur un investissement (humain, publicitaire, R&D, croissance externe, etc.), c’est que je souhaite en être en situation de décider d’investir, OU PAS. L’idée même de ROI suppose donc que j’ai la possibilité de ne pas investir et de laisser mon business tourner à l’identique.

Or le monde n’est pas identique, il change, il change de manière particulièrement fondamentale en ce moment même avec le développement des technologies en général et du web social en particulier. Et il change qu’on le veuille ou non.

Nous ne sommes pas dans une situation où toutes les choses sont égales par ailleurs. Le changement induit par le digital est profond : c’est la structure même du business qui est impactée (distribution des produits, décision d’achat, circulation de l’information).

Et plus largement, ce changement est culturel, car social. Un changement culturel qui se caractérise pèle-mêle par l’émergence de valeurs (transparence, ouverture, partage, etc.), de nouvelles pratiques (par exemple, dans le journalisme, le LOLjournalisme), de nouveaux codes (par exemple, dans des usages plus informels de la conversation) par une économie de la demande (le système Google), par un retour du consumérisme.

Il impacte donc l’organisation dans son ensemble. Les pratiques métier sont amenées à évoluer à plus ou moins court terme dans toutes les grandes fonction traditionnelles de l’entreprise : marketing et communication bien sûr, mais aussi RH, service client, commercial, etc. et même dans la fonction « traditionnelle » Internet (trop souvent réduite au management du site officiel).

Entendons-nous bien, cela ne signifie pas que le métier de chacun dans l’entreprise est bouleversé, mais que des pratiques doivent être acquises par tous (par exemple dans le cas d’un recrutement, une recherche sur le candidat permettant de mieux le cerner et de valider ses acquis, expériences, etc.).

Oh bien sûr, toutes les marques et entreprises ne sont pas égales devant le web social : les disparités sont liées, là aussi en vrac,

– aux secteurs d’activité (plus un achat est impliquant, plus le web va jouer un rôle crucial)

– à l’exposition médiatique / puissance de la marque

– à la taille du business (le web social ne signifie pas vraiment la même chose pour une PME ou une grande entreprise)

– à la nature des acheteurs de ce business (ce n’est pas exactement la même chose si le public est les 15-24 ou une niche BtoB).

Mais dans ces conditions, la question du web social est moins une question de ROI (Return On Investment) que de RONI (Risk Of Non-Investment).

Autrement dit, la première question n’est-elle pas : que se passe-t-il si j’investis ? Mais : que se passe-t-il si je n’investis pas ?

Les réponses possibles, en vrac et à compléter :

– méconnaissance du consommateur, de ses opinions, priorités, attentes…

– manque de réponses pertinentes aux questions que se posent les consommateurs et les parties prenantes et à leurs attentes

– occasions perdues de recueillir un feedback

– détérioration de la relation avec les consommateurs

– perte d’impact des campagnes traditionnelles

– absence de bouche à oreille positif

– affaiblissement du réseau d’alliés de l’entreprise

– méconnaissance et vulnérabilité face aux risques d’opinion

– circulation d’informations négatives voire fausses, ou encore stratégiques (fuites)

– faible maîtrise des discours tenus sur la marque et l’entreprise

– contenus obsolètes sur les dirigeants de l’entreprise

– coûts inutiles de gestion de la relation client (par exemple, de centres d’appel)

– manque d’information utile à la prise de décision

– process internes obsolètes

– décalage entre le management et les salariés

– dégradation d’image auprès de la génération Y

– retard concurrentiel

On peut s’amuser à faire peur quasi indéfiniment. Mais, dans le cas d’une absence de conviction ou d’envie de la marque et / ou de ses décideurs, c’est bien par cette réflexion sur le Risque de Non-Investissement qu’il faut commencer. La question du ROI viendra ensuite.

Pour dire tout cela autrement, une réflexion ROI comme base de décision d’une stratégie d’investissement dans le web social serait une erreur. N’attendons pas de connaître le ROI pour y aller. Si on ne choisit pas le web social, on le subit.

9 réponses à “Du ROI (Return On Investment) au RONI (Risk Of Non-Investment)

  1. Pingback: Tweets that mention Du ROI (Return On Investment) au RONI (Risk Of Non-Investment) « internet et opinion(s) – françois guillot et emmanuel bruant – web, médias, communication, influence, etc. -- Topsy.com

  2. Limpide ! Quel serait le RONI d’une entreprise qui renoncerait à utiliser l’électricité ?

    Le pur ROI lui peut poser problème quand il s’agit de faire des choix entre plusieurs opportunités d’investissement (dans telle ou telle action internet vs telle ou telle autre action de com). De l’intérêt donc de bien préparer la réponse aux 2 questions
    – combien cela coûte vraiment ?
    – combien cela va me rapporter ?

  3. Bienvenue à ce nouveau commentateur 😉
    Je crois qu’il y a le « combien cela va me rapporter » (ROI) et le « Qu’est-ce que ça va me rapporter » (les bénéfices, de type une meilleure connaissance des publics, des risques contenus, un réseau d’alliés, etc. et qui sont difficiles à quantifier).

    On a souvent tendance à répondre par les bénéfices quand on parle de web social. Mais encore une fois ces questions (ROI et bénéfices) ne doivent pas être posées indépendamment de la question : « qu’est-ce qui se passe si je ne fais rien ? »

  4. Je pense que ce dilemme est aussi connu dans la litterature comme « opportunity cost ». La simple vision economique du ROI n’est pas suffisante dans le choix d’un investissement (cf value theory).

    Exemple :
    Sachant que je continue a investir dans mon fonctionnement habituel, qu’est-ce que je perds (opportunity cost) a ne pas investir dans les reseaux sociaux.

    A l’inverse, si j’investis dans les reseaux sociaux, je perds l’opportunite de depenser cet argent dans des medias traditionnels.

  5. Pingback: the ROI of RONI – the risk of non-investment – in social media | The Observing Participant

  6. François Guillot

    @Chris : exact, on me l’a aussi fait remarquer sur Twitter… Je me disais bien que cela avait dû être théorisé quelque part 🙂 http://fr.wikipedia.org/wiki/Coût_d'opportunité

  7. Conclusion, il faut etre sur le web social 😉

  8. Complètement en phase, merci de cet article !
    Combien coûte une crise ? Comment chiffre t-on le ROI sur de l’image d’une marque, la réputation ? Toutes ces choses pas au bilan, et qui ont plus de valeur que bien des actions ROIstes à CT…
    Si je prends d’autres fonctions en entreprises, les RH ne rapportent pas d’argent, et pourtant quand le facteur d’une entreprise, c’est l’humain, elles sont juste essentielles. Dans le « social » media, y’a « social », et évaluer le « social » avec une calculette, c’est se tromper de compte, ou se dire qu’une société qui passe sa vie a pensé avec une calculette, c’est une société qui est en crise.

  9. Nice post sir i agree that it is a more business focused view on opportunity cost but with a stronger focus on what benefit you get if you do invest rather than trying to calculate what you might be missing out on…