Archives mensuelles : juillet 2008

MySpace is the bar, Facebook is the home, LinkedIn is the office.

C’est une citation de Reid Hoffman et c’est ce qui m’est venu à l’esprit en découvrant, chez Laurent François, ce tableau établi par Communispace pour décrire les besoins auxquels répondent les différentes catégories de « médias sociaux ».

Autrement dit, ce travail est très intéressant et mérite d’être largement commenté, mais il me paraît difficile d’amalgamer entre eux MySpace, Facebook et LinkedIn qui, bien qu’étant effectivement des « profile-driven social networks » comme les définit Communispace, répondent à des besoins différents les uns des autres. Dans leur vocation initiale, ou au moins dans l’usage qu’on en fait aujourd’hui.

Plus largement sur ce tableau, la distinction entre les 6 besoins me semble assez pertinente. On peut débattre de la façon dont les cases sont cochées et je serai ravi d’avoir vos avis, mais en lecture initiale ce qui me fait réagir se situe plutôt au niveau de la colonne de gauche : mélanger les réseaux sociaux pré-cités entre eux, donc ; mais aussi pourquoi amalgamer YouTube et les sites de bookmarking ?

Nouvelles données de consommation de médias aux USA

Vu dans Les Echos ce matin, « les journaux en ligne américains séduisent de plus en plus« . Derrière ce titre optimiste qui fait référence à la croissance de l’audience, l’article ne fait pas pour autant l’impasse sur les difficultés de la presse écrite américaine.

En résumé, il faut retenir (données Nielsen) que l’audience des journaux en ligne croîte de 12.2% avec une durée moyenne de visite de 40 minutes et 29 secondes (élevé, non ?). Les investissements publicitaires auraient augmenté de 7.2 % au 1er trimestre, ne compensant pas la perte des revenus du papier. Au final, les éditeurs de presse réunis au sein de la NAA (Newspapers of America) voient leurs recettes reculer de 7.9%.

Une audience qui continue malgré tout à progresser, des revenus qui augmentent mais pas suffisamment et au final des journaux qui perdent de l’argent… En fait le portrait est assez connu et ces chiffres ne font qu’alimenter ce que l’on sait déjà : c’est l’incertitude radicale — pour reprendre une expression chère à mon co-auteur.

Pendant ce temps, le même Nielsen publie des données de consommation de vidéo aux USA. Consommation de télévision en hausse (+4% avec 121 heures par mois soit 4 heures par jour), et consommation de vidéos en ligne également en hausse (+9%) soit environ 48 minutes par jour. (Via TVNomics).

Volume de search et attractivité des marques media

C’est tout récent, c’est gratuit et c’est fort utile : Google communique les fréquences d’interrogation des mots-clé. Grâce à la fonction Google AdWords, vous pourrez par exemple savoir qu’au mois de juin, le mot « relations publiques » a été demandé 12 100 fois et que le mot « opinion » a été demandé 74 000 fois. Ou vous « Googleadwordiser » pour savoir si l’on s’intéresse à vous 😉

Et comme vous savez bien que chez Internet et Opinion(s), nous ne ratons pas une occasion de nous livrer à une petite expérience statistique, voici ce que nous indique Google quand on lui demande combien de fois les noms de certains médias sont demandés (moyennes mensuelles) :

(cliquez pour agrandir)

Deux données méthodolgiques à prendre en compte :

– les chiffres sont l’agrégation des termes pouvant conduire à la recherche du média : par exemple : « Nouvel Observateur », « Nouvel Obs », « Nouvelobs », « Nouvelobs.com », etc.

– sans faire un travail exhaustif j’ai retenu les termes associés à la marque quand Google indiquait au moins 10 000 recherches mensuelles moyennes.

Intérêt de l’exercice ? Je ne sais pas, à vous de me dire 😉

Plus sérieusement, je ne pense pas qu’il faille y voir une indication des volumes de trafic réalisés, mais plutôt un indicateur d’attractivité de la marque média.

Pourquoi pas un indicateur des volumes de trafic ? Le search, même s’il peut représenter une part énorme du trafic d’un média en ligne (jusqu’à 80%), repose sur le positionnement des sites en fonction d’une très grande variété de mots-clé. L’usage qui consiste à taper le nom du média dans Google pour se rendre sur la home page existe mais n’est qu’un usage parmi bien d’autres. On pourrait imaginer qu’un site récupère beaucoup de trafic via le search, sans pour autant que les internautes interrogent Google sur le nom de ce site.

Par exemple, si l’on interroge Google Adwords sur la popularité des termes associés à « Chauffeur de Buzz » (‘chauffeur de buzz’, ‘chauffeurdebuzz’, ‘chauffeurdebuzz com’, etc.), on va trouver une « fréquence d’interrogation mensuelle sur le nom du site » d’un peu moins de 30 000. A des années lumière des millions de pages vues réalisées par le site.

En revanche, quand on tape le nom du média, c’est que l’on désire accéder à sa home page, donc que l’on ressent une affinité avec sa marque. D’où l’idée d’indicateur d’attractivité de la marque média.

A partir de là, je ne suis pas sûr qu’il faille voir de franches surprises dans les résultats : les quotidiens devant, avec le Nouvel Obs qui parvient à se hisser à leur niveau de popularité. Rue89 largement devant les autres pure players, Mediapart plus confidentiel comme attendu. Je suis un peu surpris de voir Le Point devant l’Express. L’étonnement viendrait plutôt des ordres de grandeur que l’on constate, avec des écarts très importants et notamment la popularité / attractivité du Monde.

Evidemment il ne faut pas prendre tout cela pour argent comptant :

– d’abord, les données indiquées par Google paraissent très approximatives. On voit sans cesse revenir les mêmes chiffres sur des mots-clé différents : 12 100, 40 500, 165 000… On est clairement sur des ordres de grandeur.

– ensuite, l’association de mots-clé peut ne pas signifier que l’on cherche le média en question : c’est pourquoi j’ai retiré Métro de la sélection, qui serait arrivé en deuxième place derrière Le Monde et aurait pu remercier les usagers de la RATP. Les données de « Capital » m’ont également paru suspectes, on peut avoir des doutes sur « Libération », est-ce que certains internautes ne demandent pas « La tribune » pour « la tribune de Genève », etc. Malgré ces précautions il y a certainement de la « pollution » et on prête aux internautes des intentions qui ne sont pas les leurs… Reste à savoir dans quelles proportions.

Ce petit exercice peut être répété à l’infini dans une variété de domaines : par exemple, les blogs… On y reviendra.

Rue 89 et les lois de la participation

Comme l’attraction terrestre, la participation des internautes a ses lois 😉 et i&o s’en est largement fait l’écho. Dernier cas à rentrer dans notre base désormais bien fournie, Rue89. Et ceci grâce à VinceDeg, un « stagiaire en stats à la rue » (en passant, je comprends que rue 89 ait des « stagiaires en journalisme » ou des « stagiaires en web » mais un « stagiaire en stats » surtout « à la rue » alors là… Que peuvent donc bien lui apprendre Pierre Haski et Pascal Riché ?)

Donc… que nous dit Vince ?

  • en 15 mois, 380 000 commentaires pour 8500 articles.
  • 45 000 riverains actifs dont seulement un tiers a déjà posté un commentaire
  • Et nos 15 000 restants que font-ils ? La réponse dans le superbe camembert ci-dessous :

Et voici le retour de notre petite loi : 10 % des riverains enregistrés représentent 80 % des commentaires. Vince dixit :

On relève qu’une grande majorité des riverains s’inscrivent et laissent un, deux ou trois commentaires, mais se taisent ensuite à jamais. A contrario, on découvre aussi un club de happy few, les 31 riverains qui ont laissé plus de mille commentaires, avec parmi eux un certain Pierre Haski (1 035 contributions au compteur à cet instant).

Si vous cherchez la version longue, c’est ici.

Nouvelle maquette : lemonde.fr se veut à la page

La nouvelle maquette du monde.fr est-elle le signe de l’effet d’apprentissage grandissant des médias traditionnels ? Assurément.

Et pour comprendre les sources d’inspiration, rien de mieux qu’une petite visite vers design et typo déjà linké par Mikiane qui nous propose de son côté une analyse plus éditoriale.

Mais outre l’organisation de la page d’accueil et de sa lecture , remarquons quand même l’apparition d’une nouvelle rubrique, la rubrique témoignages. Ce petit détail me semble tout sauf anodin et qui montre l’évolution à petit (grand ?) pas des « médias traditionnels ».

Car désormais le ventre de la page d’accueil est constitué du « tryptique d’opinion » suivant :

  1. republication des pages opinion du journal papier
  2. redirection vers les blogs issus de la plate-forme du monde.fr
  3. publication de témoignages d’internautes du monde.fr

Les deux premiers points sont bien connus de nous tous. Notons quand même que les pages opinions et les blogs sont désormais côte à côte, signe des temps… Et à côté de témoignages d’internautes donc sur des sujets posés par la rédaction, du style :

A noter également que ces témoignages sont redistribués ensuite en fonction du sujet dans les rubriques classiques correspondantes : ainsi préparer ses vacances sur internet se retrouve dans la rubrique voyages, habiter près d’un site nucléaire est publié sous « environnement, sciences » et les cadres/RTT dans la rubrique politique. lemonde.fr parle aussi « d’article interactif ».

La page d’accueil appelle ainsi les internautes à témoigner et plus seulement à voter, signe des temps là aussi, comme en ce moment avec la question : « vous faites partie des supporters d’Obama ? Pourquoi ? » :

Vous suivez la campagne présidentielle américaine depuis la France, les Etats-Unis, ou ailleurs, et vous faites partie des supporters de Barack Obama. Pourquoi et comment avez-vous succombé à « l’obamania » ? Qu’est-ce qui vous attire chez le candidat démocrate ? Qu’est-ce qui vous convainc dans son programme ?

Dernier indice que j’ai relevé dans cette nouvelle mise en page (et contrairement à ce que laisse penser Mikiane dans son papier 😉 : lemonde.fr propose désormais des liens en dehors de son réseau avec une Revue de web qui reprend des blogs, des articles du monde (bon on ne se refait pas manifestement) et des articles de la presse étrangère. Pour l’instant je n’ai pas encore vu de liens vers des médias français plus ou moins directement concurrents.

D’autres détails m’ont sûrement échappé, mais en tout cas l’intégration de la parole des internautes (du lecteur au blogueur maison ou non) est désormais plus qu’avancée et valorisée comme un contenu à part entière. L’écart avec les sites médias pure player comme Mediapart et rue 89 est en train de se réduire.

A propos des vidéos virales

« Where The Hell Is Matt? » (Stride), « Guys Backflip Into Jeans » (Levi’s), le téléphone qui fait du Pop Corn (Cardo Systems) et même le buzz « First » (Bud) : les exemples récents de marques à l’origine (ou à la récupération) d’un buzz ‘amateur’ ne manquent pas.

Avec des stratégies variables, mais comme ligne de conduite une certaine discrétion pour leur présence… Je vous invite donc à lire Aurélien Viers d’Après La Télé avec qui nous avons eu une conversation autour de ce sujet et qui l’évoque dans son dernier billet.

A lire aussi à propos de vidéo virales la typologie de Mike Laurie traduite en français par marketing 2.0.

A propos des forums

« L’écosystème des forums est en fait l’exact inverse de celui des réseaux sociaux. On s’inscrit, comme tout le monde, sur Facebook, et ensuite on participe à des groupes plus ou moins spécialisés. On s’inscrit sur un forum pour une passion ou un problème pratique très particulier, et ensuite on parle éventuellement ensemble de sujets plus généraux. »

C’est la phrase intelligente du jour et elle est de Laurent Suply de Suivez Le Geek — en réaction au titanesque travail de cartographie des forums francophones les plus actifs réalisé par Christophe Druaux publié mercredi.

Et par ailleurs à propos de cette cartographie, qui suscite des débats de méthodologie et de représentativité dans lesquels il serait un peu fastidieux d’entrer ici, il nous paraît essentiel de souligner une chose : elle vient nous rappeler, malgré toute l’agitation autour du web 2.0, le rôle majeur des bon vieux forums au sein du web.

Mediapart et la libération d’Ingrid Betancourt

Episode médiatique très intéressant à l’occasion de la libération d’Ingrid Betancourt.

Le 4 juillet, soit deux jours après sa Libération, Mediapart publie – en accès libre et sous la plume de Claude-Marie Vadrot, un papier intitulé : « Libération d’Ingrid Betancourt : ce que ne dit pas la version officielle« . Il s’agit du premier article qui remet en question la thèse officielle de l’infiltration des FARC et évoque l’hypothèse d’une reddition et d’une rançon.

Courez lire, si vous ne l’avez pas encore fait, les billets de Pierre France et de Jean-Marie Le Ray, qui s’étonnent à juste titre de ce que ce papier n’ait eu que peu d’échos dans les médias et sur Internet. Une reprise sur France Info d’après Pierre France, une citation sur lexpress.fr, une trentaine de blogs d’après Technorati

C’est bien peu pour une info de cette ampleur : on est quand même dans un des plus gros sujets médiatiques de l’année et l’angle de Mediapart a tout pour séduire puisqu’il remet en question la vérité officielle, et alimente donc la théorie du complot qui connaît tant de succès notamment en ligne…

Alors pourquoi ? Le témoignage de Pierre France — qui est journaliste dans un quotidien régional—, est édifiant :

« J’ai moi-même mené un lobbying auprès de ma rédaction pour qu’il y soit fait mention (…) dans un bloc sur les “doutes sur la version officielle”. Le responsable de service, bien qu’ayant fait l’effort de lire l’article de MediaPart, a choisi de ne pas en parler. “MediaPart, personne ne connait”, m’a-t-il dit. »

Explication 1 : Ce n’est pas que Mediapart manque de crédibilité, c’est qu’il manque de notoriété. Pas de crédibilité sans notoriété. Mediapart paierait là son positionnement relativement fermé vis-à-vis du monde, puisque journal en ligne payant. Le modèle payant l’isole, et quand un article est mis en lecture gratuite, on n’y prête pas attention car Mediapart ne fait pas partie de notre paysage, malgré ses signatures prestigieuses.

Pour Jean-Marie Le Ray, Mediapart c’est « un peu comme si l’on était face à une créature hybride, ni viande ni poisson, qu’on ne sait trop où caser. »

Mais on peut voir d’autres éléments d’explication à la très faible reprise de cet article de Mediapart.

Explication 2 : la concurrence sur le terrain du scoop. Car, et cela compte pour beaucoup, la Radio Suisse Romande a simultanément évoqué, le 4 juillet à partir de 12h30, une rançon de 20 millions de dollars. Et c’est ce scoop là, pas celui de Mediapart, qui a nourri l’ensemble des médias, en étant notamment repris par l’AFP (contrairement à Mediapart, non cité par l’agence).

Mediapart s’est donc fait couper l’herbe sous le pied par la Radio Suisse Romande. Pourquoi cette préférence des médias pour la RSR ?

On peut évoquer plusieurs raisons :

le pouvoir des chiffres. là où la RSR propose un fait et un chiffre (20 millions de dollars), Mediapart propose une analyse. Détaillée. Comme l’évoque Pierre France, il s’agit d’une « reconstruction d’un scénario » de la libération. Pas d’un scoop à proprement parler : le papier est basé sur des données existantes. Les médias ont donc privilégié (comment s’en étonner ?) la reprise d’une bonne grosse info basée sur un chiffre nouveau que d’une analyse complexe basée sur des faits existants.

le pouvoir de l’AFP. Quand l’AFP choisit de citer la RSR et pas Mediapart, il influe sur la quasit-totalité du traitement médiatique qui s’ensuivra. Cet épisode vient nous rappeler la toute-puissance de l’AFP : on serait presque tenté de dire qu’une info qui n’est pas reprise par l’AFP n’existe pas.

les luttes d’influence au sein des médias, passées et présentes. Autrement dit, et c’est mon camarade Emmanuel Brillant qui me le souffle : « pour beaucoup de médias, ne pas reprendre Mediapart c’est aussi pour faire chier Plénel ». No comment.

– la forme, enfin, qui à mon sens explique le buzz internet relativement limité autour de cet article : l’article de Mediapart est sur 4 pages. Il est très écrit, très littéraire. Il ne comporte pas d’illustration, pas de résumé. Il rend compte d’épisodes complexes de façon complexe. Il n’est pas construit de façon chronologique. Il ne renvoie pas sur des liens externes. Bref, il n’est pas facile à lire pour les internautes zappeurs et paresseux que nous sommes devenus. Il représente une antithèse de la tendance au marketing rédactionnel que nous évoquons régulièrement dans ces pages, une forme de « journalisme à l’ancienne » que Mediapart
incarne volontairement… et qui je pense lui joue des tours dans sa recherche de visibilité.

Les scoops sont les tremplins des sites médias – on se souvient de la façon dont rue89 avait rapidement acquis une notoriété grâce entre autres à quelques scoops bien sentis. Dommage que Mediapart n’ait pas été mieux récompensé sur ce coup là : cela risque de l’encourager dans une logique de recherche de scoops et d’informations « visibles ».

Lefigaro.fr passe devant lemonde.fr (et ne se prive pas de le faire savoir)

Après tout c’est de bonne guerre, et on n’est jamais mieux servi que par soi-même : on apprenait donc dans le Figaro d’hier (papier et en ligne) que lefigaro.fr est désormais le premier site d’information généraliste sur le net, devant lemonde.fr mais aussi devant Yahoo Actualités et Google News.

Les chiffres de Nielsen pour juin 2008 sont en effet les suivants :

1. Lefigaro.fr – 3.17 millions de visiteurs uniques

2. Yahoo! News – 3.15 millions de visiteurs uniques

3. Google News – 3.14 millions de visiteurs uniques

4. Lemonde.fr – 2.98 millions de visiteurs uniques

Et puisque c’est la fête Boulevard Haussmann, trois papiers valent mieux qu’un : « le figaro.fr premier site d’information généraliste sur Internet » pour les faits ; « Pierre Conte : ‘Internet nous amène naturellement vers l’audiovisuel’ » pour l’interview ; et « la mutation vers le numérique » pour l’analyse de fond.

Sans oublier les encadrés classement et progressions des sites dans la version papier, ainsi que la photo de l’équipe en charge du figaro.fr. Et on s’autorise une petite cerise sur le gâteau : la modification de la maquette du journal papier, qui reprend les codes du site ! Le tout, le jour même où lemonde.fr changeait de maquette…

Ce petit dossier du Figaro consacré à son développement en ligne appelle quelques commentaires. D’abord, on peut s’interroger sur le caractère définitif de cette « prise de pouvoir ».

Le premier des trois articles commence d’ailleurs par un triomphal « Mission accomplie. » – comme si la première place des sites d’information généraliste était une fin en soi. Pierre Conte, DGA du groupe, se fend d’un « le premier objectif était de faire du site lefigaro.fr le premier site d’information en France. C’est chose faite aujourd’hui« . Champagne.

On comprend bien la signification au moins symbolique de cette nouvelle hiérarchie pour Le Figaro, mais permettons-nous de dire que :

1. L’évolution rapide des chiffres n’indique en rien qu’elle soit durable. Lefigaro peut se retrouver quatrième le mois prochain, ou accroître son avance…

2. Lefigaro.fr passe devant en visiteurs uniques, mais quid de la durée des visites, devenue l’indicateur de référence pour… Nielsen, depuis le mois dernier ?

et surtout 3. aucun des 3 articles ne fait état de la profitabilité des activités web du Figaro, malgré des informations sur la croissance des activités du groupe, qui nous apprennent notamment que l’audience du figaro a progressé de 70% en un an (quand même).

Je ne cherche pas à être dubitatif ou à remettre en question la réussite du figaro.fr : par exemple, je ne suis pas sûr de partager la conclusion du billet de l’Editor’s Weblog, qui en commentaire de cette même actualité, estime que lemonde.fr comme lefigaro.fr ont un long chemin à faire en comparaison du site du New York Times ou du Guardian. Après tout, le NYTimes.com réalise 19 millions de V.U mensuels, donc à population « métropolitaine » équivalentes lefigaro.fr n’a pas tant à rougir que cela : le NYTimes touche environ un américain sur 16 alors que lefigaro.fr touche environ un français sur 20. Pas mal.

Il y a là une vraie réussite et une vraie stratégie, amplement racontée dans les 3 articles du Figaro : diversification thématique avec des sites en marque le Figaro et d’autres ; travail sur le référencement ; reconstruction du chiffre d’affaires des petites annonces avec l’activité Adenclassifieds ; lancement de services de proximité pour le lecteur, etc. — l’aspect le moins intéressant n’étant certainement pas l’appropriation des contenus vidéos (lancement des contenus vidéos « propres » Le Talk Orange – Le Figaro), qui montre bien comment Internet fait évoluer le traitement de l’information vers l’image et l’enjeu éditorial qui en découle.

Il s’agit plutôt de relativiser les conclusions qu’il faut tirer de cette annonce :

– d’abord, à périmètre comparable de « producteurs d’information », lemonde.fr reste devant lefigaro.fr. Autrement dit, le site du Figaro fait la différence sur les services, là où celui du Monde est focalisé sur l’info, comme le relève l’Editor’s Weblog.

Et pour un sujet qui nous intéresse bigrement sur Internet et Opinion(s), l’influence, cela a son importance : lefigaro.fr n’est certainement pas devenu plus influent que lemonde.fr. De la même façon que si l’on compare l’audience des tirages papier, on voit que Le Figaro est passé devant le Monde en diffusion OJD France payée… Alors que le Monde a une audience près de deux fois supérieure à celle du Figaro. Car un exemplaire du Monde serait lu par près de 6 personnes tandis qu’un exemplaire du Figaro serait lu par 3.5 personnes. N’est-ce pas une preuve d’influence supérieure du Monde ? Il me semble donc que l’on a ici encore une preuve que l’influence n’est pas en connexion directe avec l’audience.

– ensuite, il paraît nécessaire de témpérer l’enthousiasme du Figaro à l’égard du numérique. « Longtemps considéré comme un concurrent des médias traditionnels, Internet en est, finalement, l’allié et le facteur de développement », nous dit Enguérand Renault dans « la mutation vers le numérique« . Cela reste malheureusement très loin d’être évident !

L’incertitude sur l’avenir des médias en ligne est au contraire grande, très grande même et nous nous étions largement étendus sur la question. L’audience ne garantit pas les revenus qui ne garantissent pas la rentabilité, les modèles économiques sont incertains, la concurrence est énorme, des incertitudes planent sur la capacité des médias à produire de l’info, et tout cela a un impact sur la qualité rédactionnelle. L’incertitude est encore plus grande avec cette hypothèse géniale et vertigineuse évoquée chez Narvic, sur laquelle on espère pouvoir revenir bientôt.

Que le Figaro sable le champagne ne signifie en rien que sa bataille soit terminée, et encore moins que la guerre des médias d’information ait débouché sur une situation lisible, durable et profitable.

Mise à jour : le débat s’oriente sur la guerre des chiffres et le traficotage des audiences en vue de séduire les annonceurs, ce qui n’était pas exactement mon propos mais peut vous donner envie de lire Electron Libre, NetEco ou Novövision.

Quand la presse faisait parler les morts (la vieillerie de la semaine à la mode Bleustein-Blanchet)

Pendant que certains alimentent leur blog, d’autres travaillent;-)

Et dans mes savantes lectures du moment, je ne résiste pas à l’envie de vous faire partager cet extrait issu d’un livre du célèbre publicitaire Marcel Bleustein-Blanchet (vous savez, le père de Publicis).

Dans La Rage de convaincre, une de ses diverses autobiographies, l’amateur d’avions qu’il était se remémore l’histoire suivante. Deux  pilotes français, Charles Nungesser et François Coli décident de traverser l’Atlantique Nord. Ils partent le 8 mai 1927 du Bourget en direction de New York. Le lendemain, le 9 mai, le journal La Presse annonce en une que les deux aviateurs ont réussi leur exploit avec en sous-titre, « les  émouvantes étapes du grand raid ; à 5 heures arrivée à New York ». Sauf qu’en réalité, nos deux héros ont disparu en mer et n’arriveront jamais à bon port (hérodote.net le raconte ici). D’après Marcel, le public indigné est venu briser les vitrines de « La Presse » et quelque mois plus tard le journal cessera sa parution (cessation d’activité qu’il impute à cet épisode de désinformation mais ce serait à vérifier plus précisèment).

[ce phénomène] marque pour moi le début d’une époque, où l’information devient la principale technique, pour ne pas dire le produit n°1. A la limite, elle est aussi importante que l’évènement ; la preuve c’est qu’on vient demander des comptes au journal s’il en donne une version qui se révèle inexacte. Je ne voudrais pas paraître cynique, mais je crois que ce qui a bouleversé les gens, c’est moins la disparition de Nungesser et Coli que le mensonge dont La Presse s’était rendue coupable. Un crime de lèse-information. Mais aussi le commencement d’un nouveau système. Autrefois, on pouvait dire n’importe quoi, l’information était un monologue incontrôlable ; désormais, le public entre dans le jeu ; celui qui émet le message et celui qui le reçoit nouent entre eux un rapport étroit ; nous entrons dans l’âge de la communication. (p. 24 de La rage de convaincre, Robert Laffont, 1970 et c’est moi qui met en gras)

Marrant, non ? Remplacez communication par conversation et vous obtenez une formule digne de Loïc le Meur.

Heureusement que les discours d’évangélisation sur le « nouveau système » ou la « nouvelle société » ne datent pas d’hier. Mais en ces temps difficiles, il ne faudrait pas désespérer la blogosphère… (tiens d’ailleurs, peut-être qu’un jour on entendra dans la bouche des évangélistes « il ne faut pas désespérer Agoravox » comme d’autres ont répété qu' »il ne faut pas désespérer Billancourt« ; Agoravox n’est-il pas à la société de conversations ce que Billancourt était à la société de production de masse ? Finalement, nous ne sommes peut-être que des prolétaires du web… C’est Marcel qui doit bien se marrer du haut de sa tombe;-)