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« What the F**K is Social Media », un an après (et Internet et Opinion(s), deux ans après).

Internet et Opinion(s) a deux ans aujourd’hui ! Petite larme en relisant le tout premier billet

Pour fêter ça, voici republiée « what the F**K is Social Media, 1 year after? », présentation trouvée chez un ami-de-blog-depuis-plus-encore-plus-longtemps-que-deux-ans, et qui ne doit pas être très loin d’être la présentation de référence pour les webévangélistes que nous sommes.

Comme vous le savez ou comme vous l’aurez compris, cette présentation « One Year Later » fait suite à l’originale qui avait déjà bien fait le tour des blogs espaces web et marketing et qui était déjà l’oeuvre de Brand Inflitration.

A vrai dire je trouve la nouvelle version assez supérieure à la première. L’exercice de comparaison est intéressant :

– Les données statistiques de la partie « Why Care? » me convainquent davantage dans la dernière version. Pas seulement parce que les chiffres ont évolué en un an, mais aussi parce que l’ancienne version comporte un certain nombre de données qui ne signifient pas grand-chose : 73% lisent des blogs, 39% sont abonnés à des flux RSS, 83% regardent des vidéos… sans compter que Second Life faisait partie de l’argumentation 😉

– L’ancienne version verse davantage dans la justification et un certain nombre d’arguments sont contestables : « people talk about your brand, right now » – ben non, pas forcément. Et même si c’est le cas ça ne dit pas quel est le pouvoir d’influence du web…

– La nouvelle version comporte cette partie beaucoup plus pédagogique qui montre que tout est dans les médias sociaux : RP, service conso, fidélisation, collaboration, réseautage, thought leadership (jamais su comment on disait ça en français) et acquisition. Pédagogique aussi, l’idée qu’il faut penser « conversations et non campagnes ».

– L’ancienne version attaque plus frontalement le marketing traditionnel. Or c’est quand même là que réside le fond du problème et que les médias sociaux n’ont pas tout démontré : ce n’est pas parce que je parle avec des influenceurs online que le buzz se répand ou que le monde entier va être convaincu que mon produit est formidable.

De ce point de vue je reste fortement interpellé par les travaux de Duncan Watts qui montre que l’imprédictibilité des phénomènes viraux est telle que le meilleur moyen de générer de la viralité reste… le marketing de masse. Ca fait longtemps que je n’ai plus rien vu sur Duncan Watts, ses travaux et son approche… il serait temps d’en rediscuter !

La pyramide de consommation des médias en ligne

Voici une présentation que nous avons réalisée il y a quelques mois et dont l’objectif est de modéliser « la pyramide de consommation des médias en ligne ». Elle est un peu cheap sur la forme, mais c’est le fond qui compte, n’est-ce pas ;-).

L’idée principale est de montrer que le participatif n’est pas un phénomène automatique mais au contraire le résultat d’un ensemble d’étapes que le média doit franchir : on n’obtient pas des effets participatifs juste en claquant des doigts. On y introduit aussi la distinction entre l’audience et le public (en ligne, un média a intérêt à avoir comme objectif de transformer son audience en public) et l’idée que les médias en ligne (qu’ils soient éditeurs, blogs, réseaux sociaux, marques-médias etc.) doivent entrer dans une logique de cercle vertueux.

J’espère que la présentation est assez claire ainsi… A vos commentaires.

Ne confondez plus publication et social

Je rebondis sur le dernier billet de Fred Cavazza, « ne confondez plus communautaire et social« . On a trop tendance à considérer que tout est communautaire sur le web, là il n’y a parfois « que » du social.

Cavazza voit le communautaire dans les véritables espaces de discussion (pas ceux où on se lance des moutons), à savoir majoritairement les bons vieux forums qui ne font plus rêver ni les internautes ni les médias. Mais qui sont toujours là, bien là et hyperactifs comme l’avait montré Christophe de Ouinon.net avec sa fameuse cartographie des forums francophones.

[Le mot « communautaire » est d’ailleurs bien pratique mais usité de façon abusive là où il y a avant tout des réseaux d’affinité, comme on l’avait fait remarquer dans notre billet « 10 considérations sur les blogs« . On l’utilise même pour décrire les utilisateurs d’un service qui n’ont pas forcément d’affinités entre eux : « bienvenue dans la communauté Neuf Wifi »… Bref la notion de communauté en vient à remplacer la notion de public]

Beaucoup d’espaces de web 2.0 sont des espaces sociaux sans être des espaces communautaires : on interagit sur Facebook, MySpace ou LikedIn : on est en relation avant d’être en dialogue. Donc ces espaces ne sont pas communautaires au sens cavazzien.

Je suis assez d’accord avec l’analyse de Fred Cavazza et en même temps cela m’inspire plein de choses. Des choses peut-être pas complètement finies mais je compte bien sur la fonction sociale de ce blog, c’est à dire vos commentaires, pour l’enrichir 😉

D’abord, sur le web tout n’est pas social mais on finit par se demander ce qui ne l’est pas. On peut commenter les médias en ligne, des marques mettent en place des lieux d’expression pour les internautes, Vie de merde est le succès de l’année… Donc y a-t-il le communautaire d’un côté et le social de l’autre ? Il y a plutôt je pense le social en général et dans le social, du communautaire — ou pas. Le communautaire est un sous-segment du social.

Ensuite, sur la différence entre communautaire et social. Est-ce que la différence à faire est entre le dialogue (le forum) et l’interaction (Facebook) ? Ou est-ce qu’on ne peut pas voir aussi une différence entre les lieux d’affinités thématiques, où l’on interagit avec d’autres internautes autour d’un sujet commun, et les lieux où l’on reproduit le réel ?

Dans un cas, le réel importe moins que le thème ; dans l’autre le réel prime sur le thème.

Dans cette définition, les forums seraient communautaires bien sûr, certains blogs aussi, de même que Wikipédia, et MySpace également (Myspace me semble fonctionner autour des affinités avant de fonctionner comme lieu de reproduction du réel). Facebook ne serait pas communautaire mais social…

Enfin, et j’en reviens au titre parodique de ce billet (et sans vouloir contredire Cavazza puisque je prends un prisme différent : là où il se place du point de vue des marques, je m’interroge sur la typologie du web), si on se pose la question de la typologie des espaces du web 2.0, il faut quand même en revenir aux usages dominants que l’on peut faire des différents médias.

De ce point de vue, le social a beau être partout (d’où le fait que l’expression « médias sociaux » semble se substituer à l’expression « web 2.0″…), on est vite limité par la question social / pas social / communautaire / pas communautaire.

Pourquoi ? Parce que le social (l’interaction) ou le communautaire (le dialogue dans la définition cavazzienne / l’affinité thématique dans ma poposition), n’est pas toujours l’usage dominant que l’internaute fait du média.

D’où cette typologie que j’utilise à partir des usages et que je signalais en commentaire chez Palpitt :

les médias de publication : médias en ligne, blogs, Wikipédia, plates-formes vidéo ; voire médias de republication type Wikio. La fonction sociale, quelle qu’elle soit, est de moindre importance que la fonction de publication. On se rapproche plus d’une déclinaison des médias traditionnels, en ligne (le journal papier, la télévision…)

les médias de recherche : les moteurs. Sachant que la recherche est le premier usage du web, difficile d’y échapper dans une typologie…

les médias sociaux : les forums, les réseaux sociaux et professionnels, les espaces d’échange type Yahoo! Question… Ici, la fonction principale est à chercher dans le rapport à l’autre.

Ca fout tout en l’air ? C’est ça qui est bien 😉 .

Bon évidemment, tout est dans tout sur Internet, le social est dans la publication (on commente les blogs) et inversement (on publie des notes sur Facebook) et comme le fait remarquer Hubert Guillaud dans les commentaires chez FC, ce n’est pas l’outil qui fait l’usage et on peut voir plusieurs usages du même outil.

Mais s’il fallait faire une typologie, je pencherais de ce côté-là. Quitte à ne pas trop savoir où foutre Twitter (publication qui n’a pas de sens sans la fonction sociale) ou les outils de social bookmarking.

Vous aurez remarqué que je n’utilise donc pas « médias sociaux » pour décrire l’ensemble du web 2.0, mais seulement une sous-catégorie. De même que le communautaire est dans le social sans être le social, le social est dans le 2.0 sans être le 2.0.

C’est lié à cet attachement pour l’usage dominant du média… Et même si c’est bientôt démodé et qu’on ne sait pas trop ce que ça veut dire, je crois que je préfère le bon vieux terme de web 2.0 à celui de « médias sociaux ».

Voilà comment on fait un billet vite fait sur Obama.

De : Francois Guillot
Date : Wed, 05 Nov 2008 17:38:32 +0100
À : Emmanuel Bruant
Conversation : Il est de notre responsabilité…
Objet : Il est de notre responsabilité…

… De nous faire une opinion sur ça :

http://billaut.typepad.com/jm/2008/11/le-monde-va-se.html

http://www.liberation.fr/monde/0101166612-obama-gagne-la-bataille-du-net

http://pinklemonblog.blogspot.com/2008/09/obama-20-strategy.html

http://elections-us08.20minutes-blogs.fr/archive/2008/11/04/2-0-pour-obama.html

Le 5/11/08 18:11, « Emmanuel Bruant » a écrit :
Mon avis (outre que tout ce buzz, cette hystérie est la preuve de « l’impérialisme américain » (version cool, soft, trendy on est tous pour Obama, un mec qu’en venu 3 heures en France de toute sa vie, un peu comme César avec Lutèce) et de l’ethnocentrisme des parisiens bobo qui s’excitent sur un truc à des milliers de km sur lequel ils n’ont aucune prise alors qu’il y a des choses un tout petit peu plus importantes en France… Mais bon)

Ce que je retiens de tout cela, effectivement c’est l’événement Internet. Mais peut-on tirer des enseignements pour nous (comme le fait Billaut), pour des marques, des entreprises etc. alors que la situation dans laquelle le web a été utilisé est exceptionnelle, puisque c’est un événement (une élection est un événement comme la coupe du monde etc.) Donc peut-on tirer des enseignements sérieux d’un événement exceptionnel ? Oui, le 2.0 a eu un rôle mais combien de personnes sont derrières, quelle est cette machine électorale. Aucune marque, aucune entreprise ne peut faire aussi bien tout simplement parce qu’il n’a pas les moyens, pas l’aspiration, pas la légitimité etc. Forcément, le 2.0 a un effet démesuré qu’on ne trouvera sûrement pas ailleurs ! D’autant plus que nous voyons cela avec nos yeux de Français sans prendre en compte le gigantisme des Etats-Unis… C’est le principe d’un événement : il y a effervescence et puis cela retombe…
A suivre

Le 5/11/08 18:32, « Francois Guillot » a écrit :
Ca c’est ton côté « je veux être différent », tu peux pas mettre au-dessus de toi 1. Que c’est l’Histoire en direct et 2. Que Obama fasse autant l’unanimité en France (alors que c’est juste normal, il n’y a rien qui peut être aussi populaire en France qu’un démocrate américain, les démocrates américains t’es pour eux que tu sois de gauche ou de droite, c’est le bon côté de l’Amérique, en plus après huit ans de haine contre Bush et avec un mec charismatique, jeune et black qui fout en l’air tous les codes, t’as pas besoin de savoir ce qu’il raconte c’est la folie, mais toi tu peux pas l’admettre).
Sinon sur la question Obama + web chuis assez d’accord et c’est justement ça qu’on peut dire sur le blog. En résumé :
•    le délire 2.0 autour d’Obama : oui mais cela fonctionne parce que Obama est fondamentalement ASPIRATIONNEL. Il suffit pas d’utiliser les tuyaux
•    ça reste exceptionnel, tout le monde va dire que c’est la reconnaissance de l’efficacité du web etc., alors que personne ne peut l’utiliser aussi bien que lui

Le 5/11/08 18:40, « Emmanuel Bruant » a écrit :
http://pisani.blog.lemonde.fr/2008/11/03/les-recettes-d%E2%80%99obama/
Des liens très intéressants et moins emphatiques k les autres

Le 5/11/08 18:54, « Emmanuel Bruant » a écrit :
Tu écris là-dessus ?
Je vais m’en aller
Emmanuel

Le 5/11/08 19:20, « Francois Guillot » a écrit :
S’il faut lire Transnets d’abord ça va me filer mal au crâne surtout que j’ai pas bp dormi la nuit dernière. On verra. Tu vas pas voir le foot ?

L’âge de la réputation selon Gloria Origgi

« Sagesse en réseaux : la passion d’évaluer » est un article très intéressant de Gloria Origgi. Il vient d’être publié par La vie des idées et reprend le débat sur la problématique de la sagesse des foules. Je retiendrai trois points de son exposé :

1) le web révolutionne notre mémoire

2) une typologie des formes de coordination/formation de l’intelligence sur le web

3) Et si le web était plus un enjeu de réputation que d’information ?

***

Le web révolutionne notre mémoire

Comme je crois que ce blog n’a jamais abordé cette question autant en profiter :

1) Gloria Origgi nous rappelle qu’après l’écriture et l’imprimerie le web modifie profondément le rapport à notre mémoire : il est un support de mémoire extérieure qui démultiplie les possibilités que nous offraient jusqu’ici l’écriture et l’imprimerie.

2) Mais le plus important, selon l’auteur, concerne  notre méta-mémoire, c’est-à-dire les processus par lesquels on accède à la mémoire (notre éducation consiste à assimiler notamment des systèmes de méta-mémoire que sont les hiérarchisations, classifications etc.) :

Avec l’apparition des technologies qui automatisent les fonctions d’accès à la mémoire, comme les moteurs de recherche et les systèmes de traitement de la connaissance, la méta-mémoire devient également une partie de la mémoire extérieure : une fonction cognitive, centrale à l’organisation culturelle des sociétés humaines, est devenue automatisée.

Une typologie des formes de coordination/formation de l’intelligence sur le web

Comment cette méta-mémoire est-elle conçue aujourd’hui ? Voici succinctement la typologie proposée par Gloria Origgi, typologie qui repose sur une gradation de l’engagement de l’internaute dans la classification des informations :

– les systèmes automatisés, ce sont les filtrages à partir d’algorithmes qui traitent des données plus ou moins localisées (du système d’algorithme d’Amazon au Page Rank de Google) avec lesquels l’internaute interagit plus (comme dans le cas d’Amazon) ou moins (comme dans le cas de Google);

– les systèmes de réputation à l’exemple d’ebay où la sagesse apparait en raison de l’angoisse d’avoir justement une mauvaise réputation ce qui nuirait aux transactions à venir.

– les systèmes de collaboration du type wikipedia où la sagesse se fait par la coopération entre les membres (mais également par leur réputation comme le rappelle ce billet que l’on avait consacré à la question)

– les systèmes de recommandation où la sagesse est organisée à partir des « connaisseurs » où l’on révèle ses préférences aux autres internautes en leurs conseillant tel ou tel ouvrage, telle ou telle musique, etc.

Et si le web était plus un enjeu de réputation que d’information ?

Que déduire de cette typologie de l’organisation de la méta-mémoire selon Gloria Orrigi ?

Mon idée, c’est que le succès du web (…) vient de sa capacité à fournir non pas tant un système potentiellement infini de stockage de l’information, qu’un réseau gigantesque de systèmes de hiérarchisation et d’évaluation dans lesquels l’information prend de la valeur pour autant qu’elle a déjà été filtrée par d’autres êtres humains. Ma modeste prévision épistémologique est que l’âge de l’information est en train d’être remplacé par un âge de la réputation dans lequel la réputation de quelque chose – c’est à dire la manière dont les autres l’évaluent et la classent – est la seule manière dont nous pouvons tirer une information à son sujet. (…)

Plus le contenu de l’information est incertain, plus le poids des opinions des autres pour établir la qualité de ce contenu est important. (…)

Le Web n’est pas seulement un puissant réservoir de toutes sortes d’information labellisée ou non labellisée, mais il est un puissant outil réputationnel qui hiérarchise, introduit des systèmes de classement, de poids et de biais dans le paysage de la connaissance.

Ce que j’aime bien dans cette proposition (modeste mais géniale dirait l’autre) est qu’elle nous évite le chausse-trappe de l’âge de la conversation qui fait tourner à vide bon nombre de débats et engage les institutions diverses et variées (de l’homme politique à la marque) dans des solutions parfois très trompeuses… Mais j’imagine que mon avis sera loin d’être partagé…

PS : Un reproche à l’article ? À chaque fois, les applications sont présentées sous leur angle vertueux (ce qui biaise forcément la démonstration quand même) à l’exemple de Wikipedia pour lequel Gloira Origgi nous ressort le coup de l’article de Nature… Pour quelqu’un qui travaille sur l’épistémologie sociale c’est amusant.

Nos plus belles années (4/4) : les glandeurs

Le glandeur est une figure peu valorisée dans nos sociétés. Pourtant, s’ennuyer est sûrement une de nos caractéristiques anthropologiques (je m’avance un peu ?).

Un cas limite qui illustre cet ennui est le roman de Georges Pérec, Un homme qui dort – conçu comme le négatif de son livre, plus connu, Les Choses (qui a pour sous-titre « une histoire des années soixante », ce qui n’est pas anodin). Le lecteur découvre au fil des pages le monologue d’un jeune homme de 25 ans, indifférent à la société, et qui se laisse aller à l’ennui et plonge dans l’indifférence (un cas limite je vous dis…)

Tu descends tes six étages, tu les remontes. Tu achètes le Monde ou tu ne l’achètes pas. Tu t’assieds, tu t’étends, tu restes debout, tu te glisses dans la salle obscure d’un cinéma. Tu allumes une cigarette. (…) Tu joues au billard électrique ou tu n’y joues pas. (…) Tu relis un roman policier que tu as déjà lu vingt fois, oublié vingt fois. Tu fais les mots croisés d’un vieux Monde qui traîne. Tu étales sur ta banquette quatre rangée de treize carte, tu retires les as, tu mets le sept de coeur après le six de coeur, le huit de trèfle après le sept de trèfle, le deux de pique à sa place, le roi de pique après la dame de pique, le valet de coeur après le dix de coeur.

Voilà une des multiples descriptions du livre sur la manière de passer seul le temps, le tuer comme on dit. Auparavant, Pérec décrivait minutieusement une lecture pleine d’ennui du journal vespéral :

Tu t’assieds au fond d’un café, tu lis le Monde ligne à ligne, systématiquement. C’est un excellent exercice. Tu lis les titres de la première page, « au jour le jour », le bulletin de l’étranger, les faits divers de la dernière page, les petites annonces (…), les prévisions météorologiques; les programmes de radio, de télévision, des théâtres et cinémas, les cours de la bourse; les pages touristiques, sociales économiques, gastronomiques, littéraires, sportives, scientifiques, dramatiques, universitaires [je coupe la description est longue;-)]

Cinq cents, mille informations sont passées sous tes yeux si scrupuleux et si attentifs que tu as même pris connaissance du tirage du numéro, et vérifié, une fois de plus, qu’il avait été fabriqué par des ouvriers syndiqués et contrôlé par le BVP et l’OJD. (…) lire le Monde, c’est seulement perdre, ou gagner une heure, deux heures (…) il t’importe que le temps coule et que rien ne t’atteigne : tes yeux lisent les lignes, posément, l’une après l’autre. (p. 253, je souligne)

Relire Pérec c’est comprende à quel point l’écologie de l’ennuie s’est métamorphosée. Il y a eu bien sûr entre temps la télévision. Mais aujourd’hui  un seul support ouvre sur une multitude de lieu. L’ennui est à la fois devenu plus simple (on peut même ne plus sortir de chez soi) et plus riche (on peut faire bien plus que lire le Monde, jouer au flipper, aller au cinéma et faire des réussites) : attendre l’actualisation des flux RSS, poker sur Facebook, lire sans arrêt les mêmes dépêches AFP qui circulent sur les sites médias, les sites pure players et les portails, googliser sa grand-mère, relever les mails, jouer à PacMan, déambuler dans 2nd Life, etc. toutes ces petites choses du net, insignifiantes et indispensables, que Georges Pérec décrirait sûrement avec délice.

J’évoque tout cela pour faire contrepoint au consom’acteur, à l’internaute participatif, l’intelligence collective etc. Les applications du net sont autant des supports de créativité que les nouveaux prolongements de notre ennui (c’est le verre d’eau à moitié vide ou à moitié cher à André Gunthert ;-). Ce détour par Pérec nous le rappelle.

Relativiser le rôle de l’UGC

Le papier de Marie-Catherine Beuth dans le Figaro de vendredi, « Renault, champion des conversations sur les blogs« , a naturellement attiré mon attention.

Il reprend des éléments d’une étude d’Oto Research qui est parue il y a un gros mois. Tubby Dev en avait fait un résumé assez complet.

Alors, de quoi s’agit-il ? D’un livre blanc (sur demande auprès d’Oto Research) qui s’attache à mettre des chiffres en face d’un certain nombre de questions qui se posent pour les marques autour du web, et notamment à mesurer l’ampleur du phénomène « UGC ».

Je ne vais pas revenir sur l’ensemble de l’étude et vous conseille pour cela Tubby Dev. Le point qui attire mon attention est le même que celui autour duquel Marie-Catherine Beuth a construit le papier du Figaro : la « part de voix » des marques par rapport aux autres sources d’information : l’UGC, les distributeurs, les médias. Les discours sur les marques sont-ils dominés par les marques elles-même (sites de la marque), par l’UGC (internautes), les distributeurs (e-commerce) ou les médias ?

Pour mesurer cela Oto Research a étudié les 100 premiers résultats Google sur les requêtes concernant 110 marques de grande consommation. Et produit le camembert suivant :

Les marques produiraient à peine plus d’un quart des discours qui les concernent et l’UGC est le premier vecteur de discours. C’est la conclusion du Figaro et du livre blanc d’Oto Research.

Voilà qui est fort séduisant et qui est susceptible d’enflammer tout ce que le web et les métiers du conseil comptent d’évangélistes du web 2.0, non ?

Sauf que la méthode et la conclusion… sont assez contestables.

L’étude a été chercher les résultats Google du les requêtes concernant 110 marques. Les cent premiers résultats Google.

Vous allez souvent sur la 10ème page de résultats, vous ? Souvenez-vous de cette petite étude qui montrait que 62% des internautes ne vont jamais au-delà de la première page de recherche. Et même si les choses ont évolué depuis, une chose est sûre, le nerf de la guerre, ce sont les 10 premiers résultats Google. Pas les 100 premiers.

En allant chercher les 100 premiers résultats, on plonge dans la longue traîne. Normal d’y trouver beaucoup d’UGC. Tiens, je pourrais faire la même étude sur les 1000 premiers résultats Google des 110 marques étudiées et en conclure que 90% des contenus sur les marques sont UGC ! (Et les annonceurs affolés viendront m’acheter du conseil web, et je me frotterais les mains.)

Pour me faire une idée un peu plus précise, j’ai repris le principe de l’étude et l’ai raccourci à la première page de recherche pour les 10 sociétés qui, selon Oto Research, suscitent le plus de commentaires (commentaires de blogueurs en l’occurrence, dans la méthodologie de l’étude).

Ce top 10 des marques qui font buzzer les consommateurs est composé de : Renault, Nokia, Canon, Orange, Samsung, Peugeot, Panasonic, SNCF, France Télécom et Philips.

Donc, à la question, quelles sont les sources d’info à propos de ces marques quand on s’intéresse à la première page de résultats de Google, la réponse est :

Dans cas de figure, qui correspond beaucoup plus à la réalité des usages du web, les 10 marques qui font le plus parler maîtrisent plus de 50% du contenu Google qui les concerne. On est quand même nettement au-dessus des 27% d’Oto Research… Et l’UGC, sur la première page de recherche, est tout d’un coup bien moins inquiétant : moins de 10% des résultats contre plus de 30% dans la méthode Oto Research.

Sur ces 10%, 80% de Wikipédia et aucun blog.

Donc, tout ça n’est pas pour dire que l’UGC n’a aucune importance. Mais on en revient à un débat de fond qui anime ce blog : ce n’est pas parce que le phénomène de l’UGC est important qu’il faut exagérer son influence. Le web 2.0 n’a pas tout changé ; il ne faut pas confondre longue traîne et usages de l’internaute ; quantité de contenu et visibilité des sources ; visibilité et influence.

Les système d’opinion évoluent. Mais pas autant que certains le disent (les certains en question étant généralement curieusement des vendeurs de conseil web, ce que je suis aussi il faut bien le reconnaître, mais pas seulement 😉 ).

Ce type d’études permet de se remettre les idées au clair : les blogs sont essentiellement des médias de niche ; Wikipédia est un outil de réputation (on est quelques-uns à insister là-dessus et le débat n’est pas fini) ; l’influence UGC se fait beaucoup par les avis conso sur les sites marchands ; les forums restent des endroits hyperactifs.

Allez quand même jeter un œil à l’étude, notamment pour ce qu’elle fait ressortir en termes de « bruit sectoriel ». « Les secteurs qui génèrent le plus de bouche-à-oreille et de messages sur les blogs sont l’automobile (27 %), l’équipement (25 %) et le voyage (6 %). », relève Le Figaro.

La Géorgie de BHL et le web de Gunthert, tentative de prolongement de l’analyse

André Gunthert s’en donne à cœur à joie dans son billet C’est BHL qu’on assassine. Notre directeur d’études le plus prolixe sur la toile analyse les contrefeux lancés suite au long article de notre BHL national. C’est à la fois pertinent et mordant.
Mais, ironie de l’histoire, la vision du web d’André Gunthert ressemble étrangement à la vision de la Géorgie de BHL : tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil (et oui, pas question d’être en reste dans la provocation, à mon tour de taquiner André – tant qu’on en arrive pas au dialogue de sourds 😉
« Le web est-il capable de modifier les grands équilibres médiatiques? » lance-t-il en introduction pour annoncer que « c’est un monument qu’internet fait aujourd’hui vaciller » et conclure en toute fin de post, « BHL ferait bien de s’en souvenir avant son prochain dithyrambe – le juge, aujourd’hui, c’est le web ».
Heureusement dans les commentaires un internaute rappelle que derrière cette contre-attaque, il y des journalistes et pas « le web ». Mais cette remarque lui vaut une réponse sèche du professeur :

Pour les sourds et malentendants, j’ai bien dit: le web. Le web de Rue89, qui met en ligne une parodie qui n’aurait jamais trouvé sa place dans les pages Opinions du Monde ou Rebonds de Libé. Ou le web du monde.fr, qui affiche en face du texte de BHL un commentaire désobligeant d’internaute. Ou le web de Facebook, où les amis de BHL se comptent.

Le web des petites différences, le web qui ne respecte rien, le web qui mine l’argument d’autorité, le web qui buzze et cancane, le web où l’on s’interpelle et se répond. Le web: le pire ennemi de tout ce qui a fait BHL (je souligne).

Tiens, cela sonne comme du Loïc Le Meur de gauche ;-). Certes André, mais (encore une fois) « Le web » ça veut pas dire grand chose dans ce cas (souvenez-vous du texte de Deleuze sur les nouveaux philosophes ;-). Pour preuve ce billet du Post.fr relevé par vous-même : il y a aussi des défenseurs de BHL sur la toile. « Le web » n’est donc pas pro ou anti BHL (Le commentaire mise en exergue par Le Monde est le dernier arrivé, pas le plus critique. Rien n’aurait empêché des pro-BHL de s’exprimer et d’être eux aussi mis en exergue. (petite parenthèse, cela montre aussi que un débat/une conversation est très difficile dans les commentaires, « spirale du silence » oblige par exemple, mais cela nous emmène vers d’autres questions comme celle des remarquables fatals flatteurs…). Le web a simplement des utilisateurs (producteurs et/ou lecteurs).

Ainsi, les contrefeux ne viennent pas de blogueurs ou d’internautes lambda. En fait, elles viennent de journalistes qu’on peut (hypothèse, je dis bien hypothèse) imaginer comme éloignés du réseau BHL (nouveaux entrants, adversaires de longue dates, etc.) et à l’abri de « pressions » (dont les formes peuvent être très diverses) pour critiquer une signature comme BHL. Zineb Drief est un jeune journaliste chez rue 89 par exemple, pas un internaute inconnu. Nous restons dans un cadre bien défini de professionnels de l’information et/ou du débat éditorial.

Cet épisode nous en apprend plus sur les journalistes que sur le web il me semble. En fait ce que je retiens de ce petit épisode (et cela n’a rien de nouveau), c’est que les sites d’informations offrent un espace complémentaire à certaines journalistes pour développer des contenus (aussi bien dans le fond que sur la forme comme nous l’a montré Rue89) qui ne passeraient pas avec la même facilité dans la presse papier (ne parlons même pas de la télévision). Ajoutez à cela qu’ils peuvent être alors repris par la presse aux supports plus traditionnels. Nous sommes dans une reconfiguraion médiatique (entendre rééquilibrage des supports) à l’intérieur d’une profession. (L’affaire Sine/Val est à ce titre encore plus symptomatique et les remarques d’André Gunthert me conforte dans l’idée de creuser de ce côté là avec un prochain billet là-dessus. mon hypothèse : en off les journalistes ou les signatures défenseurs de Val, en on les journalistes ou les signatures défenseurs de Siné… à vérifier le cas du Nouvel Obs papier et du nouvelobs.com va être très intéressant à regarder)

Après le constat, la question : cela durera-t-il ? Quand les .fr seront devenus (réellement) les moteurs des rédactions, les marges de manœuvre existantes (à la fois journalistiques et techniques) s’effaceront-elles ? Pour preuve, la fermeture momentanée des commentaires sur l’article de Libe.fr qui relatait la polémique. Une des choses que permet le web c’est de faire baisser les coûts de production de l’information et donc de lancer de nouveaux titres (Rue89, Mediapart, etc.) qui peuvent développer des regards nouveaux, complémentaires ou alternatifs (ou ce qu’on voudra).

Quoiqu’il en soit André, de grâce, pas d’évangélisme ou de raccourci médiologique ;-), ARHV est de trop bonne facture pour cela… mais peut-être que nous sommes d’accord en fait sur le fond ?;-)

Nouvelle maquette : lemonde.fr se veut à la page

La nouvelle maquette du monde.fr est-elle le signe de l’effet d’apprentissage grandissant des médias traditionnels ? Assurément.

Et pour comprendre les sources d’inspiration, rien de mieux qu’une petite visite vers design et typo déjà linké par Mikiane qui nous propose de son côté une analyse plus éditoriale.

Mais outre l’organisation de la page d’accueil et de sa lecture , remarquons quand même l’apparition d’une nouvelle rubrique, la rubrique témoignages. Ce petit détail me semble tout sauf anodin et qui montre l’évolution à petit (grand ?) pas des « médias traditionnels ».

Car désormais le ventre de la page d’accueil est constitué du « tryptique d’opinion » suivant :

  1. republication des pages opinion du journal papier
  2. redirection vers les blogs issus de la plate-forme du monde.fr
  3. publication de témoignages d’internautes du monde.fr

Les deux premiers points sont bien connus de nous tous. Notons quand même que les pages opinions et les blogs sont désormais côte à côte, signe des temps… Et à côté de témoignages d’internautes donc sur des sujets posés par la rédaction, du style :

A noter également que ces témoignages sont redistribués ensuite en fonction du sujet dans les rubriques classiques correspondantes : ainsi préparer ses vacances sur internet se retrouve dans la rubrique voyages, habiter près d’un site nucléaire est publié sous « environnement, sciences » et les cadres/RTT dans la rubrique politique. lemonde.fr parle aussi « d’article interactif ».

La page d’accueil appelle ainsi les internautes à témoigner et plus seulement à voter, signe des temps là aussi, comme en ce moment avec la question : « vous faites partie des supporters d’Obama ? Pourquoi ? » :

Vous suivez la campagne présidentielle américaine depuis la France, les Etats-Unis, ou ailleurs, et vous faites partie des supporters de Barack Obama. Pourquoi et comment avez-vous succombé à « l’obamania » ? Qu’est-ce qui vous attire chez le candidat démocrate ? Qu’est-ce qui vous convainc dans son programme ?

Dernier indice que j’ai relevé dans cette nouvelle mise en page (et contrairement à ce que laisse penser Mikiane dans son papier 😉 : lemonde.fr propose désormais des liens en dehors de son réseau avec une Revue de web qui reprend des blogs, des articles du monde (bon on ne se refait pas manifestement) et des articles de la presse étrangère. Pour l’instant je n’ai pas encore vu de liens vers des médias français plus ou moins directement concurrents.

D’autres détails m’ont sûrement échappé, mais en tout cas l’intégration de la parole des internautes (du lecteur au blogueur maison ou non) est désormais plus qu’avancée et valorisée comme un contenu à part entière. L’écart avec les sites médias pure player comme Mediapart et rue 89 est en train de se réduire.

« Les internautes disent que… » Vers un nouveau cliché journalistique ?

Vous connaissiez le JT et ses insupportables micro-trottoirs – Petite mise en scène, reconstitution médiatique de l’avis d’un groupe social ou d’une nation (rappelez-vous ces correspondants qui interrogent « La » population du coin).

Internet a enfin donné le change aux journalistes de la presse écrite (on et off sans distinction… ouf on évite une nouvelle bataille de tranchées). Désormais, les journalistes disposent d’une nouvelle matière, ce qui se dit sur les blogs, les forums, etc. On ne peut que s’en féliciter. Cela ne fait qu’élargir l’horizon des opinions, n’est-ce pas ? Mais cela s’accompagne d’un effet pervers. Oh, un petit effet pervers, de ces petites épines dans le pied avec lesquelles nous avons tous appris à marcher : une nouvelle figure rhétorique a fait son apparition et semble avoir pris son rythme de croisière. Trois exemples glanés ici et là dans Le Monde.

Les internautes et les fausses photos d’Hiroshima

Il y a environ deux mois (le 10/05/08 exactement), Sylvain Cippel et Philippe Pons signaient un article sur des photos (soit-disant) inédites des victimes d’Hiroshima. On y lisait ceci :

Depuis la divulgation de ces photos, blogueurs et internautes américains se déchirent sur le sujet. Une phrase revient souvent dans les commentaires : « Les Japs n’ont eu que ce qu’ils méritaient. » Sur le site MetaFilter, l’internaute signant « postroad » estime que le Japon « n’ayant aucune intention de capituler, comme le montre le film de Clint Eastwood (Lettres d’Iwo Jima), aussi horribles soient (ces photos), ces bombardements ont sauvé de nombreuses vies américaines – et aussi nippones ». Pour d’autres, à l’inverse, « l’Amérique masque ses crimes honteux ».

Beaucoup d’internautes se demandent aussi pourquoi ces clichés sortent aujourd’hui. Peu font confiance à la version officielle. Peut-on vraiment croire que M. Capp ait attendu cinquante-trois ans avant de montrer ces images à quiconque ? (…)

Pourquoi, également, M. Capp aurait apporté ces documents à la Hoover Institution? Celle-ci est perçue comme un centre de recherches néoconservateur extrême. Certains voient une volonté de « pousser » à une intervention américaine contre l’Iran avant que ce pays, disposant de la bombe A, puisse attaquer Israël. A l’inverse, d’autres suggèrent à Hillary Clinton de « bien regarder ces images avant de s’exprimer ». La candidate à l’investiture démocrate à l’élection présidentielle a récemment menacé d ‘« effacer l’Iran » de la carte s’il attaquait l’Etat juif. L’internaute appelé « oneirodynia » insiste sur « l’effort massif de censure tant de la part des Etats-Unis que de Tokyo après que la bombe eut été larguée. A l’été 1946, la censure américaine au Japon avait grandi au point d’occuper 6 000 personnes ».

Evoquant la « culture du secret » qu’ils croient déceler aux Etats-Unis, nombre de commentaires établissent un rapport entre Hiroshima, les bombardements massifs au napalm des populations locales durant la guerre américaine au Vietnam et… les prisons américaines de Guantanamo et d’Abou Ghraib aujourd’hui. D’Hiroshima à l’Irak, un internaute anonyme écrit, sur le site Yahoo!, que « le peuple américain ne s’intéresse jamais qu’à ses propres morts ».

Alors que le débat se développe sur Internet, la presse américaine n’a pas encore évoqué la divulgation de ces nouvelles photographies de la tragédie d’Hiroshima. Ni la presse japonaise, du reste.

Ce long extrait représente environ 35 % de l’article. Ainsi, en l’absence de prise de position dans les médias des deux pays les plus concernés, nos journalistes s’étaient engagés dans un micro-trottoir virtuel. Ils trainent leur souris dans la longue traîne histoire de nourrir leur article d’opinions contradictoires et ainsi offrir une mise en perspective analytique.

Quatre jours plus tard, les deux journalistes publient un long rectificatif. Les photos présentées par le journal n’ont pas été prises à Hiroshima. D’où un long papier d’explications et de justifications qui se conclut par le paragraphe suivant :

Les auteurs de l’article ont exposé les doutes exprimés dans divers forums sur Internet quant à la version officielle de l’histoire des images, mais aucun interlocuteur n’a mis en doute leur authenticité. Reste à savoir qu’elle sera la réponse de la Hoover.

En l’occurrence, Internet a servi de support pour recouper des opinions alors même que les experts sur le sujet n’avaient pas encore pris forcément connaissance de cette information. L’utilisation des commentaires disponibles sur Internet a tout bonnement fait office de simulacre d’expertise.

La médiatrice du journal, dans un article du 18/05/08 (Le piège des photos) explique que :

Le Monde, finalement, a surtout failli par excès de confiance, en accordant un crédit excessif à une institution reconnue. Et il a, sans le vouloir, enfreint une règle d’or du journalisme : le croisement des sources.

Et justement, dans la structure de l’article, c’est la figure rhétorique « des internautes », « de l’internet » qui a bouché le trou, c’est-à-dire l’absence de recoupement de sources avisées. Mais le glissement est important : l’article a privilégié le croisement des opinions avec le croisement des faits et de sources. D’où un risque : celui de prêter une trop grande attention à ce qui se dit sur Internet. Il est vrai qu’il est plus facile et moins couteux de reprendre un quelconque blog ou forum que d’identifier et de contacter une source fiable. Le verbatim a un coût proche de zéro désormais. Mais alors que le sujet est très sensible, ne sommes nous pas là en face d’un signal faible inquiétant ?

Raymond et les Internautes

La preuve avec une question plus futile. L’équipe de France est éliminée… Comment rendre compte de l’hallali envers le sélectionneur Raymond Domenech ? Tout simplement en titrant un papier « Les Internautes disent « non » à Raymond Domenech » :

Après le raz-de-marée médiatique et les réactions indignées des caciques du football français, la Toile s’est à son tour emparée de l’affaire.

Premier exemple du journaliste… Facebook :

Prompts à réagir par l’ironie, les utilisateurs du réseau social Facebook implorent Estelle Denis de dire « non » à son prétendant, une manière de punir celui qu’Internet désigne quasi unanimement comme le principal responsable du fiasco.

Pour introduire les citations de quelques blogs sur le sujet, le journaliste choisit sa phrase de transition :

Ridicule : le mot qui revient peut-être le plus fréquemment sur Internet.

Que dire de plus quand ces citations parlent d’elles-mêmes…

Le Pascale Picard Band et « La Blogosphère »

Mais le climax de cette figure de style journalistique a peut-être été atteint dans Le Monde 2 du 5 juillet. Le magazine consacre une double page à un jeune groupe québécois qui chante en anglais, Le Pascale Picard Band. Traitement de faveur puisque le groupe  a même droit à un envoyé spécial, Yann Plougastel. Le journaliste  qui a donc fait un long voyage nous explique ainsi :

La blogosphère s’est vite enflammée sur le sujet. Pour un certain Louis Dionne (…) Pascale Picard « n’est que l’expression d’une fraction de la population qui ne se respecte pas, n’est pas fière de ses origines (…) ». L’avis tranché, paraît être celui d’une génération ayant porté à bout de bras le rêve d’un Québec indépendant.

Plus jeune, Jonathan Bénac est plus compréhensif : « il faudrait s’interroger sur la façon dont on subventionne la culture au Québec. La culture québécoise n’est pas que francophone ».

Heureusement, vous pourrez lire le billet original de Louis et le commentaire de Jonathan ici, sur ce blog. Car tout est bien sur ce blog, sur un blog. Pas la peine de chercher plus loin : un blog = la blogosphère. Un raisonnement qui est tout le contraire de la longue traîne. Finalement est-ce encore la peine d’envoyer un journaliste sur place pour ramener du copier-coller amélioré ?

Pour éclairer ces trois exemples, je suis partagé entre l’appauvrissement du journalisme (perte de l’effort de chercher des sources expertes, figure de style « obligée » du genre « les internautes pensent que… », « la blogosphère dit que… ») et sa métamorphose (prise en compte de nouveaux lieux d’opinions). Pour les plus sages et les plus normands, peut-être que l’un ne va pas sans l’autre.

Et puis voyons, tout le monde n’y perd pas au change : depuis l’avénement de la télévision les  publicitaires ou « packageurs » pouvaient se targuer du fameux « vu à la télé »; désormais les gens des RP ont le « buzzé sur la toile » qui assure une reprise auprès des journalistes 😉