Archives mensuelles : octobre 2008

French paradox

Les Français, premiers de la classe quand il s’agit de bloguer.

Les journalistes français, derniers de la classe quand il s’agit de bloguer.

Influence des blogs : une étude de Jupiter Research

Encore un billet à partir d’une source vue chez Marie-Catherine Beuth. Il s’agit d’une étude américaine sur l’influence des blogs vs. les réseaux sociaux, conduite par Jupiter Research. Je n’en trouve pas le détail en dehors de ce communiqué de presse, donc pas d’analyse approfondie, juste un point qui retient mon attention :

« 50% des lecteurs de blogs considèrent leurs lectures utiles pour obtenir des informations en vue d’acheter. Ils font d’avantage confiance au contenu des blogs qu’à celui des réseaux sociaux pour faire une décision d’achat. » (1)

Intéressant car d’autres études avaient tendance à montrer une confiance pas terrible des internautes dans « les blogs ». Par exemple :

– pour l’Amérique du Nord, cette étude de Forrester : les blogs en queue du peloton des sources de confiance avec un score de 30%

– pour la France, cette étude de TNS (les blogs reçoivent la note de confiance la plus basse : 4,5/10)

Alors, quelle différence entre cette nouvelles étude et ces deux précédentes ?

L’étude Jupiter Research s’intéresse à une population plus ciblée, « les lecteurs de blogs » (ceux qui lisent des plus plus d’une fois par mois). Les deux études que je cite s’intéressent à une population large : « les internautes ».

En clair, cela veut dire qu’un lecteur de blog « habitué » a plutôt confiance (enfin, à 50%, il faut donc voir de quel côté du verre d’eau on se place…) dans ce qu’il lit dans les blogs. Il les connaît, il lit SES blogs.

Cela ne me semble pas contredire les deux autres études qui s’intéressent elles à tous les internautes, donc pas seulement aux lecteurs de blogs. N’est-il pas normal de ne pas avoir confiance dans « les blogs » (notion qui recouvre tout et n’importe quoi) quand on n’est pas un lecteur régulier de blogs ?

Tout ça n’est que du bon sens mais les deux études que je cite me gênaient car elles tendaient à discréditer « les blogs », vaste ensemble qui ne signifie pas grand-chose.

A partir de là,

Question : faut-il en conclure que les blogs influenceraient leurs lecteurs habitués, et pas tellement les internautes qui viendraient dessus pas hasard (par le moteur de recherche)… ? C’est un point important à mon sens car on parle beaucoup de l’influence des blogs comme étant leur pouvoir de référencement… Or l’étude m’amène à faire un distingo entre le lecteur habitué, qui a une certaine confiance, et le lecteur touriste, qui peut être plus ou moins méfiant, critique…

Remarque : s’intéresser à l’influence des blogs, c’est bien, mais s’intéresser à toutes les sources d’influence, c’est mieux. C’est donc l’occasion de rappeler qu’en règle générale, les études montrent que la source d’information dans laquelle on a le plus confiance, c’est l’Autre, la connaissance personnelle (bouche à oreille) ; et que viennent ensuite, avec des scores plus ou moins serrés : les médias professionnels (malgré tout ce qu’on dit sur leur discrédit), les sites de marque (oui) et les avis de consommateurs (type avis sur sites marchands).

Conclusion : ce que l’étude de Jupiter nous rappelle finalement, c’est qu’un blog, c’est un média, donc un outil de publication qui a un public et un contrat de confiance avec ce public. Si on lit un blog, c’est qu’on lui fait confiance, donc que ce blog est susceptible d’influencer… Tout simplement.

(1) A compléter par un constat sectoriel :

« Outside of technology-related purchases, for which 31 percent of readers say blogs are useful, other key categories include media and entertainment (15 percent); games/toys and/or sporting goods (14 percent); travel (12 percent); automotive (11 percent); and health (10 percent). »

On the influence of blogs: a Jupiter Research survey

Another entry based on a source found in Marie-Catherine Beuth’s blog. It’s a US survey on the influence of blogs vs. social networks, carried out by Juniper Research. I couldn’t find the detailed results – other than this press release – so no in-depth analysis here, just a point that caught my attention:

“One half (50 percent) of blog readers say they find blogs useful for purchase information. Blogs sway more purchases among readers than social networks: more frequent blog readers say they trust relevant blog content for purchase decisions than content from social networking sites.” (1)

This is interesting, as other surveys tended to find that Internet users did not overly trust “blogs”. For instance:

– in North America, this Forrester survey reported that blogs rate the worst as trusted sources: 30%

– in France, this TNS survey gave blogs the lowest rating for trustworthiness: 4.5/10

So what’s the difference between this new survey and the two previous ones?

Jupiter Research looked at a narrower group: “blog readers” (who read a blog more than once a month). The two other surveys I mentioned investigated a broader population: “Internet users”.

In other words, regular blog readers tend to trust what they read in blogs – or half of them do at least. They know blogs: they read theirs.

This does not seem to contradict the two other surveys, which look at all Internet users – not just blog readers. Isn’t it normal not to trust “blogs” (a notion that can mean many things) when one doesn’t read them?

That’s all common sense; but the two surveys I mentioned bothered me because they tended to discredit “blogs” – that broad and poorly defined constellation.

At this point:

Question: Should we conclude that blogs influence their regular readers but not so much their “accidental” readers (who chanced on them for instance through a search engine)? This is an important point in my view, as blogs are often considered influential for their SEO power (e.g. precisely in search results). And the survey seems to make a distinction between the regular reader, who trusts the blog, and the “tourist”, who may be a bit more suspicious or critical.

Note: Taking an interest in the influence of blogs is good, but taking an interest in all sources of influence is better. So it’s worthwhile pointing out that surveys show that the most trusted source is the Other, the acquaintance (word-of-mouth). Then comes a variety of sources with similar ratings: professional media (despite all the bad press they get), brand sites (really) and consumers opinions (e.g. reviews on shopping websites).

Conclusion: What the Jupiter survey is actually telling us is that a blog is a medium, i.e. a publication tool that has a trusting audience. You read a blog because you trust it – and therefore it may influence you. As simple as that.

(1) To which one may add sector-specific findings:
“Outside of technology-related purchases, for which 31 percent of readers say blogs are useful, other key categories include media and entertainment (15 percent); games/toys and/or sporting goods (14 percent); travel (12 percent); automotive (11 percent); and health (10 percent).”

De l’usage (ou pas) de Twitter en relations publiques

Vue chez Marie-Catherine Beuth, cette présentation sur l’usage de Twitter en relations publiques, réalisée par Corinne Weisgerber :

On y retrouve la double dimension de Twitter et plus généralement de la communication sur Internet : comprendre / veiller d’une part, et agir / converser d’autre part. Twitter comme outil de veille pour suivre ce qui se dit sur votre marque et réagir le cas échéant, Twitter pour diffuser de l’infomation auprès de ses pairs, poser une question, échanger de l’information, republier le contenu de son blog, etc.

Pas grand-chose de neuf finalement, et on y retrouve en plus catalogue et en moins problématisé, des idées présentées par Stanislas sur PR2Peer il y a 6 mois (quand il se demandait, inquiet, si Twitter était utile) ou Joïakim plus récemment.

Si cette présentation m’intéresse, c’est surtout parce qu’elle me donne l’occasion de développer 2-3 idées à propos de Twitter, un service qui avait quand même fait la une de Libé il y a peu (oui, c’était un prétexte pour parler de netpolitique, certes…).

Twitter en France ?

C’est quelques milliers d’utilisateurs. Le blog Twitter facts en dénombrait moins de 5000 en juin, Libé en annonce 6 000 en août. Partant du principe que le nombre d’utilisateurs a pu augmenter de 50 % depuis (en tout cas entre juin et octobre, il est passé de 2 à 3 millions au niveau mondial), et qu’environ 50 % des utilisateurs français se déclarent comme tels, Twitter en France c’est au mieux 20 000 personnes. Et loin d’être toutes actives.

On touche là à la limite de tout ce qui peut se raconter de très intéressant sur Twitter dans les milieux US, et qui inspire bon nombre de webologues de l’hexagone : l’étendue de Twitter ici n’est juste pas la même dans le monde anglo-saxon et rend la plupart des idées de bonnes pratiques inopérantes (le cas Dell, le live reporting, …)

Les leaders d’opinion sur Twitter ?

Si l’intérêt de Twitter n’est pas dans la masse de personnes qu’il permet de toucher (mais comme beaucoup de blogs, finalement, et vous me rétorquerez même que c’est toute l’idée de web 2.0…), on peut par contre se poser la question des leaders d’opinion qui twittent.

Après tout, on voit fleurir dans les espaces du web 2.0 des nouveaux leaders d’opinion : blogueurs, référents de Wikipédia, critiques habitués sur Amazon, etc.

Question : avec Twitter, voit-on fleurir de nouveaux leaders d’opinion, qui n’existeraient pas ailleurs ? Pour y répondre, le mieux est de jeter un oeil aux 10 personnes les plus suivies, d’après Twitter facts. OK, les données datent de 4 mois, mais sur le principe je ne suis pas sûr que cela change la démonstration :

Top 10 des utilisateurs de Twitter les plus suivis

twitter.com/arnaudrobail – Arnaud Robail – 2.204 followers
twitter.com/jeanlucr – Jean-Luc Raymond – 2.134 followers
twitter.com/pressecitron – Eric – 1.688 followers
twitter.com/MMartin – Martin Menu – 1.319 followers
twitter.com/FredCavazza – Frédéric CAVAZZA – 1.293 followers
twitter.com/fubiz – Romain Colin – 1.061 followers
twitter.com/MonsieurDream – Monsieur Dream – 1.035 followers
twitter.com/rodrigo1971 – Rodrigo SEPULVEDA – 1.034 followers
twitter.com/fuelmyblog – Kevin Dixie – 909 followers
twitter.com/guim – GuiM – 887 followers

Sur ce top 10, 6 sont des blogueurs très connus. Twitter peut m’offrir une facilité de m’adresser à eux, encore faut-il qu’ils aient envie de me suivre. Si je les connais déjà, il y a une bonne chance pour qu’ils me suivent, c’est donc un moyen d’entretenir la relation – peut-être plus intéressant d’ailleurs que d’être en contacts sur des réseaux sociaux. Mais si je ne les connais pas, Twitter ne va sans doute pas me servir à grand-chose pour les approcher.

Les autres sont-ils des « nouveaux leaders d’opinion » ? Il me semble difficile de dire ça : Arnaud Robail et Jean-Luc Raymond, pour ne prendre que les deux premiers, suivent eux-mêmes respectivement 7000 et 6000 comptes Twitter… (on est toujours sur les chiffres de juin). Autrement dit, ils suivent beaucoup, énormément, à la folie… et sont suivis par une partie des personnes sollicitées en retour. Mais ça ne fait pas d’eux des « nouveaux leaders d’opinion » à mon sens ; j’aurais tendance à penser qu’un leader d’opinion est quelqu’un qui sera suivi par plus de gens qu’il ne suit lui-même…

Bref, avec des blogueurs bien connus et des maniaques de Twitter : il n’y a pas de nouveaux leaders d’opinon sur Twitter. Quand Michael Arrington voit son problème de FAI résolu en temps record à la suite d’un tweet, ce n’est parce qu’il est connu sur Twitter, c’est parce que c’est le type de TechCrunch…

Les leaders d’opinion sont déjà bien connus dans la blogosphère : Twitter est d’une certaine façon son prolongement (Cédric Giorgi parle d’antichambre de la blogosphère, ce qui me semble très vrai dans la processus de traitement de l’information).

Que reste-t-il ?

Un espace d’échange de pairs à pairs, plus ou moins rempli d’experts de leurs sujets (au hasard : le high-tech et les nouveaux médias). Oui, Twitter a une utilité RP, assez grande même je pense, pour des réseaux très spécialisés de professionnels dans les secteurs d’activité que je viens de mentionner. Et cette utilité, c’est beaucoup plus celle de la veille que de la communication. On se rapproche d’ailleurs de la notion de journalisme de liens chère à Narvic. Je veille, tu veilles, il veille, nous partageons.

Côté communication, je ne vois pas bien. Il y a bien ces exemples que citait Fred cavazza en avril. On peut effectivement, avec assez peu d’efforts, se constituer une micro-communauté de followers… On est en fait en plein dans le modèle web 2.0 : faibles coûts, faibles revenus (au sens faible retour sur investissement, ici). Je peux créer un compte Twitter (événementiel ou durable) comme je peux créer un groupe Facebook, réunir quelques centaines de personnes dans les deux cas et communiquer avec elles. C’est toujours ça de gagné mais on est bien dans la micro-action.

L’intérêt principal, la veille et l’échange, donc, reste très spécifique et de niche. Le cliché est de dire que Twitter est le gadget pour geeks, mais j’ai du mal à trouver de bonnes raisons de m’éloigner de ce cliché.

Si son usage devenait à la fois moins confidentiel (le nombre) et plus généraliste (les profils), on pourrait certainement dire plein de belles choses sur l’intérêt d’y détecter des signaux faibles, de communiquer en temps réel, de lancer un buzz, d’installer un service client, de gérer une crise… Mais au final, Twitter c’est le microblogging et tout ce qui va avec en communication : micro-RP, micro-influence, micro-intérêt. Non ?

Levi’s : du viral à la TV

Vous vous souvenez sans doute qu’un des gros « buzz » (berk ce mot) du mois de mai était la vidéo des « backflips », les types qui faisaient des acrobaties pour atterrir dans leurs jeans. Vue des millions de fois, la vidéo avait cartonné et étonné : elle n’était pas signée et avait tout de la vidéo amateur… sauf qu’elle avait été réalisée par Levi’s.

On en avait parlé à l’époque en rappelant notamment que cela pouvait se comprendre par le fait que le présence de la marque nuit fortement à la viralité de la vidéo. Mais d’où une interrogation : quel retour sur investissement pour Levi’s ? Levi’s ne comptait-il que sur le « deuxième effet buzz », celui de la révélation ? Parmi les millions d’internautes qui avaient vu la vidéo, combien in fine auraient réellement su que Levi’s en était l’auteur ?

Un élément de réponse est à lire ici : Levi’s a réutilisé le film… mais cette fois, en TV, aux Etats-Unis. Et cette fois-ci, en le signant. Double bénéfice me semble-t-il : le problème de la présence de la marque est réglé (on est dans du top-down traditionnel, on signe et voilà) et on utilise la réussite du film viral (je suis internaute, j’avais vu les backflips mais sans savoir que c’était Levi’s, je revois le film 4 mois après, je me dis ‘chouette ce film’ et ‘oh, c’est Levi’s’).

Merci à Aurélien pour l’info.

Un mot sur la prophétie de Quatremer

« Le seul vrai problème de Strauss-Kahn est son rapport aux femmes. Trop pressant, il frôle souvent le harcèlement. Un travers connu des médias, mais dont personne ne parle (on est en France). Or, le FMI est une institution internationale où les mœurs sont anglo-saxonnes. Un geste déplacé, une allusion trop précise, et c’est la curée médiatique. Après Jacques Attali et ses goûts somptuaires qui lui ont coûté la présidence de la BERD, la France ne peut pas se permettre un nouveau scandale. »

Jean Quatremer, journaliste à Libération, sur son blog Coulisses de Bruxelles, en juillet 2007.

Ce qui m’intéresse dans ces paroles prophétiques est qu’elles ont été proférées par un journaliste sur son blog. On est en plein dans l’illustration de deux convictions qui nous animent sur ce blog :

– être journaliste, c’est un métier (le journaliste fournit une information ou une analyse de qualité supérieure Versus l’internaute qui est dans le commentaire, le point de vue. Même si le journaliste n’est pas toujours obligé pour cela de livrer des prophéties ou de mettre les pieds dans le plat de la vie privée des politiques)

– le blog (de journaliste) est un format libre et dynamique qui a tout son sens pour compléter l’information du média. Format encore sous-utilisé malheureusement…

Et oui, voilà, chers lecteurs, j’ai refait surface 😉

Marché du dimanche matin (n°5)

Dans notre cabas cette semaine :

– Analyse de la médiatisation de la crise économique chez éconoclaste : salutaire et fouillé. Remarquons au passage qu’Internet a incroyablement raccourci les circuits de l’information. Alors que la crise est très loin d’être terminée (nous sommes en plein dans l’oeil du cyclone) nous avons déjà des discours sur les discours et des analyses sur les analyses… C’est le must de ce qu’on appelle une société critique ou réflexive.

– Crise toujours : on aura donc tous noté la logorrhée médiatique. Par souci de contradiction il faut aussi chercher ceux qui ne parlent pas ou très peu comme, entre autres … les syndicalistes. Leurs interventions sont très très soft… Un début d’analyse se trouvait dans la bouche d’un intervenant du dernier « rue des entrepreneurs » : au vu de la crise économique qui nous attend, les syndicats ne cherchent pas à jeter de l’huile sur le feu jouant leur rôle de régulation des peurs sociales (il faut aussi signaler que l’agenda social français a aussi ses priorités du moment, notamment avec le travail dominical – sujet sur lequel on entend pas les institutions catholiques d’ailleurs). Ce « sens des responsabilités » des dirigeants syndicaux fera-t-il réfléchir sur l’importance des corps intermédiaires ?

– et pour terminer, le point méthodologique de la semaine : quelle signification doit-on attribuer au PR (pour Page Rank) et au WR (pour Wikio Rank) ? Jean Véronis, à partir d’une p’tit’nalyse de corrélation en vient à conclure que le PR doit être compris comme un indicateur de « visibilité globale » tandis que le WR est un indicateur de « visibilité au sein de la blogosphère » – et d’insister sur la complémentarité des deux indicateurs. Signalons que l’arrivée de scientifiques autorisés dans le débat (comme Jean Véronis justement) est en train de faire évoluer les termes du débat jusqu’ici monopolisé par les marketeux : Jean ne parle pas d’influence mais bien de visibilité – différenciation qui était jusqu’ici assez inaudible (et je parle d’expérience ;-). La lutte terminologique ne fait que commencer 😉

Le marché du dimanche matin (n°4)

Nous sommes lundi, mais bon… il y a parfois d’autres priorités que ce blog (cela est rare vous vous en doutez;-)

1) Privé/public et usages du net :

On a parlé ici-même de sociogeek qui aurait déjà eu plus de 3000 répondants. André Gunthert héberge le SDF virtuel qu’est Dominique Cardon (voilà jusqu’où certains poussent pour se dire intello précaire ;-). Le sociologue d’Orange propose un long papier « pourquoi sommes-nous si impudiques? ». Extrait :

Lorsque nous nous inquiétons des risques de l’exposition des personnes sur Internet, on conçoit la visibilité sur le web sur le modèle des médias traditionnels. Tout ce qui y est publié est considéré comme unanimement et uniformément public. Une vision juridique et morale des comportements sur Internet contribue à cette généralisation, faisant du web un espace transparent d’informations accessibles à tous. Or, les utilisateurs ont une conception beaucoup plus pratique et moins maximaliste de leur exposition sur Internet. Ils considèrent la toile comme un espace en clair-obscur, plastique et paramétrable. Ils exploitent les propriétés des différentes plateformes pour construire un public adressé et se cacher des autres. Sur leurs Skyblogs, les adolescents paradent devant leurs copains. Parents, professeurs ou proviseur ne font pas partie du public visé et même s’ils peuvent accéder à leur Skyblog, il leur faut pour cela s’engager dans de fastidieuses et complexes explorations pour les découvrir.

L’opposition binaire privé/public cache en fait des dimensions beaucoup plus subtiles et de nombreuses positions intermédiaires. Patricia Lange parle d’une «fractalisation du privé et du public», afin d’insister sur le fait que cette opposition se rejoue toujours à différentes échelles . Il y a toujours du privé dans le public et inversement. Ainsi, sur la plateforme publique de YouTube est-il possible d’observer un ensemble de pratiques «publiquement privées» comme ces vidéos personnelles, révélant l’identité du producteur (son image ou sa signature y sont apparentes), mais dont la publicité est limitée à un cercle fermé. Il suffit de ne pas la taguer, ou de le faire à l’aide d’un code ésotérique connu par un petit groupe. La faiblesse des outils de recherche sur YouTube permet de préserver des zones de clair-obscur d’une vaste affluence et d’utiliser le système de tagging non pas pour inscrire la vidéo dans une vaste bibliothèque publique de termes de références, mais pour l’étiqueter avec un code privé. Ces détournements de fonctionnalité sont légions sur les SNS. Inversement, les SNS sont aussi plein de messages «privés-public» lorsque par un jeu de sous-entendus, d’allusions ou de codage les messages qui sont rendus publics ne peuvent en fait être interprétés que par un nombre limité de personnes. (en Français SNS, cela veut dire Social Network Site, hein)

2) La glande sur le web : Il y a quelques semaines je parlais de la glande sur le net. Un prof de philo a eu une idée similaire sur rue 89.

3) publicité et internet : le billet date mais c’est pas une raison, puisqu’il est bon, « Quand la pub fait mine d’écouter » chez PR2Peer.

Et ce sera tout pour cette semaine déjà entamée…

Traiter de la violence conjugale sur Internet : un exemple de communication responsable

Vous avez sûrement entendu parler de la campagne de sensibilisation au problème des violences conjugales. Un site existe également, stop-violences-femmes.gouv.fr, et il remarquablement bien fait.

Un de nos fidèles lecteurs, passionné de communication institutionnelle, a un oeil de lynx. Il a remarqué qu’en haut à droite, le site disposait de deux boutons :

  • Effacer les traces de votre passage explique la démarche nécessaire pour effacer l’historique et la saisi-automatique des requêtes dans un moteur.
  • Quitter rapidement ce site pointe vers MétéoFrance, ce qui permet de « zapper » si quelqu’un passe dans votre dos par exemple

Ne retenir que cela du site c’est évidemment le voir par le petit bout de la lorgnette. Mais c’est aussi insister sur l’intelligence des situations dont les concepteurs du site ont fait preuve  : on est pas toujours seul devant son écran et il est important de préserver son intimité ou le secret de la consultation d’un tel site.

Seul regret, les deux boutons sont quand même difficilement visibles.

Sociogeek ou l’extension du domaine de la recherche

Une belle initiative monte en puissance sur la toile, Sociogeek. Pour l’instant, décrivons la bête comme un questionnaire en ligne dont la problématique tourne autour de notre exposition sociale sur la toile; citons les commanditaires – la Fing, OrangeLabs et Faber Novel et le développeur, Spinmedias.

SocioGeek est une initiative notable car elle prolonge la recherche sociologique « classique » et ce pour au moins deux raisons :

  • la plasticité du questionnaire
  • la fonction phatique du questionnaire

Extention n°1 : la plasticité du questionnaire

D’autres blogueurs l’ont déjà remarqué (Palpitt ou Gunthert). SocioGeek n’est pas un banal questionnaire en ligne. Il offre à l’internaute une interface de très grande qualité. Les photographies sont ainsi un élément clé du questionnaire ce qui est une chose assez rare pour être notée. Le principe du second jeu  fonctionne sur une logique indicière ce qui nécessite une architecture de développement bien plus complexe que les classiques questions à choix multiples en ligne.

La logique de SocioGeek peut faire penser à une autre enquête réalisée par Luc Boltanski et Laurent Thévenot dans les années 80, deux sociologues dont Dominique Cardon d’OrangeLabs a été proche. Les deux sociologues s’inspiraient des protocoles de psychologie sociale. Pour aller vite, ils utilisaient un « jeu de société » de leur cru pour  comprendre les compétences sociales des individus. Les joueurs devaient trouver la profession ou le statut de plusieurs personnages mystères. Pour ce faire, ils disposaient d’une somme d’argent (fictive) qui permettait d’acheter des indices.

La mécanique est assez proche de celle développée dans Sociogeek où l’interface nous propose de nous choisir des amis en fonction d’indices plus ou moins significatifs on line. Et ce petit rappel n’est pas anecdotique. En effet, les résultats de l’enquête n’ont jamais été dépouillés complètement. Les deux sociologues ont publié un article présenté comme exploratoire (Finding one’s way in social space, 1983) et puis plus rien. Les données accumulées n’ont jamais fait l’objet d’une analyse systématique. Pourquoi ? Sûrement, entre autres choses, parce que les données recueillies étaient difficiles à dépouiller, à coder et à analyser en raison de la masse d’info et de leur fort degré d’hétérogénéité. D’autre part, ces jeux expérimentaux demandaient également beaucoup de temps (deux jours complets pour une session) et le nombre de participants était sans commune mesure avec les possibilités d’un questionnaire classique.

L’expérience SocioGeek est donc très intéressante d’abord de ce point de vue là. L’interactivité et l’informatique aidant, les sociologues sont désormais capables de produire à grande échelle des questionnaires et disposent d’une liberté technique qui n’existait pas il y a encore quelques années. De cette manière, les sociologues élargissent leur possibilités d’observation (questionnaire avec des images, qui sort de la logique de la simple question traditionnelle, etc.) et maximise leur capacité d’analyse (tout passe par l’informatique, fini le codage fastidieux, etc.). SocioGeek est un superbe exemple des métamorphoses possibles du questionnaire en sociologie.

Extention n°2 : la fonction phatique du questionnaire

Mais cette métamorphose a un coût élevé. Si le ticket d’entrée s’est effondré pour le questionnaire classique, l’utilisation d’images (mais on pourrait imaginer du son, de la vidéo, etc.) le tout sur une interface de qualité n’est pas à la portée de tous. D’ailleurs, les commanditaires se mettent à trois pour réaliser un tel projet.  Dès lors, le questionnaire n’est pas seulement qu’un questionnaire.

En effet, jusqu’ici (dans la vie réelle), faire passer un questionnaire nécessitait de faire appel à la sympathie du répondant (cf. le jolie sourire de l’enquêtrice qui vous arrête rue de Rennes ou je ne raccroche pas au nez d’un étudiant sous-payé) ou à une contrepartie (cf. j’accepte de devenir un poulet sociologique et reçoit des batteries d’enquête en échange de coupons de réductions). Mais l’interlocuteur physique disparait avec le questionnaire en ligne. Dès lors comment capter et maintenir l’attention suffisamment longtemps ? SocioGeek dure quand même plus de 20 minutes. Désormais le questionnaire doit séduire ici par sa promesse (tester son profil) et son interface chic (le logo fait penser à Vice City, le curseur de la souris se transforme un temps à la façon de la baguette magique d’Harry Potter) et choc (je peux afficher mes résultats sur ma page, etc.). L’enquête sociologique doit composer avec un dénouement digne de n’importe quel QCM psychologique dans un féminin. La typologie finale et les commentaires sont dignes de la grande époque des styles de vie façon Cathelat (les casaniers, les aventuriers, les discrets, etc…). Sur le plan de l’énonciation, le questionnaire doit perdre ses attributs scientifiques pour assurer l’attention de l’internaute.

On sait très bien que les sondages sont utilisés pour communiquer. Le sondage est une manière de jouer à la marge sur l’agenda médiatique. Il s’agit de nourrir les journalistes en information plus que de faire progresser notre connaissance.

Cette fois, la recherche est face à une nouvelle instrumentalisation : faire passer un questionnaire n’est plus uniquement un acte scientifique mais aussi un acte de communication qui doit buzzer comme une vidéo virale. Il devra lui aussi répondre aux critères de « liking » que les publicitaires vénérent en matière de pub : quels que soient les résultats il aura déjà dû être plaisant de répondre au questionnaire. Pour faire passer aux internautes la pilule scientifique il faut être ludique. Dans la perspective sociale et relationnelle du web, un nouvel outil de communication vient donc de voir le jour…

Et pour finir, moi je suis un discret avec un zest d’aventurier, assez proche des résultats de Palpitt j’ai l’impression 😉