Archives mensuelles : juillet 2009

La pyramide de consommation des médias de Wired ou l’art d’induire le public en erreur

Via Twitter, les blogs, etc., vous avez peut-être, sans doute, vu passer cette magnifique pyramide de consommation des médias : c’est le schéma à la mode du moment.

Wired pyramide conso medias

Bluffant non ? Je me l’étais mise de côté sans l’analyser en détail, en remarquant d’une part que l’objet avait l’air de bien tourner dans le petit milieu des webologues, technologues et médiaphiles, et en me disant : « ça fera bien dans une prochaine présentation ».

Et en même temps quelque chose me gênait… non pas que je m’offusque de l’existence cette pyramide qui ose concurrencer la mienne (c’est un autre niveau de réalisation et ça ne traite pas le même sujet), mais en raison de l’absence de sources ou de certitudes sur l’origine des infos dans les sources auxquelles j’avais pu accéder.

Par exemple, les deux premiers résultats Google sur « Pyramide de consommation des médias » renvoient sur Emilie Ogez qui parle du « temps que nous passons à écouter/utiliser les médias » et pour qui « C’est une moyenne je suppose ». Et qui je pense a été loin dêtre la seule à faire cette hypothèse. Et pourtant… 1,5 heure de télé seulement sur 9h de consommation des médias ?

Aujourd’hui, en retombant sur ce chart cette fois chez Laurent, je comprends que la source est Wired, donc une bonne référence. Et le texte d’accompagnement du chart explique tout : « Here are Wired‘s suggested servings for optimal media health. »

C’est là qu’est le twist : le chart ne représente pas un état des lieux de la consommation de médias aux USA, mais la recommandation de Wired pour une consommatiobn médiatique « équilibrée ». Pas du réel, mais du souhaité.

On comprend mieux : aux dernières nouvelles, la consommation de TV aux USA était quand même proche de 5 heures par jour… sacré gap avec le schéma proposé…

Et c’est là que je m’énerve.

La pyramide en elle-même est contre-intuitive : en tombant sur cet objet, on pense forcément à un état des lieux. L’objet est une image, il est donc clair quand on s’appelle Wired et qu’on le publie, que cette image va être reprise, republiée, twittée, qu’elle va circuler dans tous les sens. C’est un objet de buzz par excellence.

Or, l’image ne contient ni titre, ni source, ni signature, ni précision quand au fait qu’il s’agit d’une consommation « recommandée » et non réelle. La confusion sur la vocation de ce schéma est très prévisible.

Une pensée pour tous les gus qui ont dû se dire « waouh, incroyable la consommation de médias sociaux aux USA ». (Et quand je vois qu’on a eu une petite discussion là-dessus sur Twitter avec d’autres gars à l’oeil pourtant exercé, j’en suis d’autant plus persuadé). D’autant plus que même si les commentaires du blogueur ou du média sur le chart en restituent correctement le sens (comme c’est le cas chez Laurent), le regard du lecteur se dirige forcément directement sur le chart et pas sur ce commentaire…

Donc le schéma est fondamentalement trompeur pour son public. Au mieux, une sacrée maladresse. Au pire, du prosélytisme. Je ne suis pas adepte des théories du complot, mais quand on lit l’interview de Chris Anderson publiée avant-hier par Der Spiegel (1), on en vient à se demander s’il n’y a pas une volonté de brouiller les cartes en favorisant la perception qu’a le public des médias sociaux. On connaît les mécaniques d’évangélisation du web 2.0 : des parties prenantes qui se focalisent sur les « bonnes nouvelles » (principe du blog de Loïc Le Meur il y a quelques années, mais pas seulement bien sûr).

C’est le genre de truc qui m’énerve et qui m’avait amené à publier les 10 mythes du web 2.0. Non pas que je ne crois pas aux médias sociaux, mais merde, il faut être clair et intellectuellement honnête. Il y a assez de confusion comme ça.

Maintenant, il faut imaginer le même schéma avec la consommation actuelle des médias. Si l’hypothèse de 9h de consommation des médias est exacte (c’est ce que dit Wired, faisons-leur confiance), les 5h de consommation de TV (la base de la pyramide) occuperaient plus de la moitié de l’espace…

(1) : dont voici quelques extraits : « I don’t use the word media. I don’t use the word news »… « the vast majority of news is created by amateurs »… « (Information) comes to me in many ways: via Twitter, it shows up in my inbox, it shows up in my RSS feed, through conversations. I don’t go out looking for it »… « We’re tuning out television news, we’re tuning out newspapers. And we still hear about the important stuff »…

Etude du Credoc pour Ebay : 44% des internautes cherchent des avis conso en ligne

Depuis ses débuts, ce blog a beaucoup collecté et commenté les études sur la façon dont on s’informe en ligne ou offline, notamment dans une perspective d’achat (dernier billet en date, une étude de TNS sur les sources de confiance on et offline). Dans cette veine, Emmanuel me signale cette étude du CREDOC pour Ebay qui vient apporter quelques éléments d’information et de réflexion sur ce que nous avons appelé « le renouveau du consumérisme« .

Le pdf résumé de l’étude est sur le site du Credoc mais comme on est grands seigneurs vous l’aurez aussi en cliquant ici.

Premier point : l’étude s’intitule « L’Internet participatif redonne confiance aux consommateurs ». A vrai dire je ne comprends pas très bien ce choix de titre car l’étude montre surtout la proportion d’internautes qui cherche des avis consommateurs en ligne. Ils sont 44% à chercher des avis de consommateurs (voir camembert ci-dessous) et d’après le Credoc, « l’information recueillie est perçue comme objective et satisfait la quasi-totalité des internautes qui l’ont recherchée ». Le Credoc ajoute que 66% des 44% ont confiance dans les commentaires collectés sur les forums, blogs ou newsgroups.

Mais est-ce pour autant qu’Internet redonne de la confiance aux consommateurs ? Je peux avoir confiance dans ce qui se dit sur Internet, et du coup freiner mes achats car les avis récoltés sont négatifs et cassent ma confiance dans le produit. Bref, confiance dans une source d’information ne signifie pas confiance dans des produits, surtout que sur le web, c’est toujours les mécontents qui s’expriment le plus facilement.

credoc pour ebay

Mais bref. Premier enseignement intéressant de l’étude à mon avis : ces fameux 44% d’internautes qui cherchent des avis de consommateurs, dont 14% qui le font régulièrement. Si on considère qu’environ les 2/3 de la population française est internaute, cela veut tout de même dire qu’environ 1/4 de la population aurait recours aux avis de consommateurs en ligne. Quand même. Et comme une grosse partie de cette recherche d’avis se fait par le moteur de recherche, on en revient à un constat désormais bien connu : le rôle du moteur de recherche dans les stratégies de réputation.

Autre constat intéressant : les internautes qui effectuent des recherches d’avis conso ont tendance à ajouter cette recherche à leurs autres sources d’info (magain, ami / membre de la famille, revue spécialisée). Pas à la substituer. Internet viendrait donc comme un canal d’information complémentaire pour internautes éclairés (là on est en plein dans le renouveau du consumérisme, pour le coup). De quoi contrarier les prophètes de malheur pour qui le web n’est qu’aveuglement et manipulation 😉

Enfin, l’étude confirme que le web est LE lieu de l’achat malin : 79% des internautes estiment que le web leur permet de faire des économies grâce notamment à la faculté de comparer les offres. Spéciale Ebay : 35% des Français ont déjà acheté un produit avec l’idée de le revendre d’occasion. Dont 54% des 18-24…

Voilà qui devrait promettre Ebay à un bel avenir mais un rapide coup d’oeil sur Google AdPlanner montre une décroissance importante de l’audience du site (données Google Adplanner, trafic France), qui confirme des difficultés dont le dernier épisode est la pétition lancée par Ebay contre les marques qui bloquent la revente de leurs produits :

audience ebay

C’est un autre sujet que celui de ce billet, celui des modèles économiques du web, mais qui reste toujours aussi épineux…

Pour en revenir à l’étude du Credoc, ce qui manque dans ce type d’étude, c’est une différenciation des pratiques d’information en fonction des types d’achat concerné.

Plus l’achat est lourd, plus on aura tendance à s’informer en général et donc à s’informer en ligne (ex : le matériel high-tech). En revanche pour les achats légers du quotidien et les achats d’impulsion, ce n’est pas du tout la même chose. Il ne faut donc pas conclure que 44% des internautes vont chercher des avis sur des laitues avant d’aller au marché !

Don’t be evil : Google et le suicide

Je me souviens de ce papier de Libé qui date d’il y a un peu plus d’un an, « La corde sur la toile« . Des chercheurs britanniques s’étaient posé la question de savoir si en effectuant des requêtes sur le suicide sur le web, on allait plutôt se faire aider ou se faire dissuader.

Leur réponse : le web avait plutôt tendance à aider, notamment parce que les sites de prévention n’arrivaient pas dans les premiers résultats. Embêtant pour Google en particulier et son « Don’t be evil »…

Sans refaire toute l’étude et les associations de mots-clé, je vois deux choses qui m’interpellent aujourd’hui :

– Sur la simple requête « suicide » sur Google.fr, je ne vois aucun « how-to » sur les 15 premières pages de résultat. On y trouve des définitions, des études, des résultats d’actualité, des sites de prévention (notamment le premier résultat), etc. Mais aucun mode d’emploi. Comme quoi sur certaines requêtes très sensibles les résultats peuvent être organisés autrement que par l’algorithme…

Mais faut-il en conclure que Google décourage complètement l’internaute qui envisage de se suicider ? Pas du tout, si l’on en croit la recherche assistée…

Google suicideEt quand on effectue ces requêtes « suggérées » et un peu plus précises que le simple mot « suicide », là on trouve du mode d’emploi…

Pas facile d’être 100% « don’t be evil » !