Lorsque nous avons lancé Internet et Opinion, la première vocation que nous avons assigné à ce blog était de comprendre ce qu’Internet changeait, ou pas, dans les systèmes d’opinion. Dans quelles situations Internet modifie-t-il les opinions, avec quelle ampleur ? Qu’est-ce que le web influence, ou n’influence pas ? Vaste projet.
La réflexion n’était évidemment pas neuve et déjà nourrie par de multiples cas : le référendum de 2005, réputé être la preuve qu’Internet était une révolution dans les systèmes d’opinion, en était un.
Mais cette interprétation n’était-elle pas trop hâtive ? Le débat en ligne autour du référendum avait-il réellement changé les opinions des Français, ne les avait-elles pas simplement refletées ? Internet était-il l’oeuf ou la poule ? Ou un peu des deux bien sûr, mais dans quelle mesure ? Difficile de répondre évidemment, mais nous nous sommes toujours plutôt situés du côté des sceptiques.
L’élection présidentielle de 2007 est plutôt venue renforcer cette vision nuancée. Certes, on avait pu voir l’émergence de la popularité de François Bayrou sur le net. Certes, les résultats finaux semblaient refléter le buzz en ligne. Mais on pouvait aussi opposer que le choix de Ségolène Royal aux primaires du PS était totalement à contre-courant de la tendance dans la blogosphère ; que les socialistes, tout de même perdants in fine, étaient la première force dans la blogosphère (voir la blogopole de RTGI) ; et que finalement personne n’est venu dire que l’élection s’était jouée en ligne — contrairement au référendum.
Les élections sont des moments forts de la vie publique et à ce titre sont des terrains d’expérimentation et d’innovation en matière de communication et de médiatisation. Et aussi des moments majeurs d’apprentissage pour qui s’intéresse aux systèmes d’opinion. Il est donc utile de regarder avec un peu de recul quels enseignements on peut tirer de l’impact du web dans les municipales 2008.
Et la principale constatation est… l’absence de grandes conclusions visibles sur l’impact du web dans ces élections.
Peu de couverture média sur les relations entre web et municipales, pas de brillant exemple d’un candidat qui aurait gagné / émergé grâce à sa stratégie Internet… Un moindre engouement des Français pour les Municipales vs. les Présidentielles = une moindre vitalité du débat en ligne…
De prime abord on a donc l’impression que l’enthousiasme pour Internet se dégonfle un peu plus à chaque élection : après 2005, c’était Internet qui faisait les élections ! Après 2007, un peu moins… Et en 2008, plus du tout.
Pour aller plus loin, demandons-nous ce qu’on a vu sur Internet au niveau des électeurs, au niveau des candidats, et finalement au niveau de l’impact du web dans les résultats.
Au niveau des « électeurs », on retiendra le papier de Rue89 qui est allé jusqu’à lancer que la Netcampagne officielle était boudée par les internautes. Exemples à l’appui : les commentaires des sites de Bertrand Delanoë et Alain Juppé désertés. Ce qui effectivement la fout mal, c’est le moins que l’on puisse dire.
Mais Rue89 va au-delà de son titre racoleur et évoque les exemples de municipalités de second plan où le débat en ligne a au contraire été très vivace (exemples de Bussy Saint Georges et Grenoble).
Analyse de Stanislas Magniant (NetPolitique, PR2peer) cité par Rue89 : le débat serait inversement proportionnel à la taille de la municipalité. On commente plus facilement sur le blog de celui qu’on connaît, donc de l’élu qu’on connaît personnellement. La proximité fait le débat.
Pourquoi pas en effet, mais on peut aussi opposer à cette vision l’analyse de Vicastel, qui rappelle que le web sert à abolir les distances. Or, dans les municipalités les distances physiques restent accessibles. Le débat « In Real Life » resterait donc un moyen privilégié de politique locale.
On est au coeur d’une question complexe. Je ferais trois remarques à ce sujet :
– pour faire débat, il faut un minimum d’effet de réseau (ou d’audience potentielle sur Internet), ce qui fait défaut dans beaucoup de municipalités (éclatement des enjeux sur 36 000 communes) : mauvais point pour les petites communes, bon point pour les grosses.
– la proximité entre les individus permet effectivement de « décoincer » le débat (deux individus qui se connaissent se commentent plus facilement). Bon point pour les petites communes, mauvais point pour les grosses.
– le débat est aussi proportionnel à l’intensité (ressentie) des enjeux : toutes les municipalités ne sont pas Puteaux ou Asnières.
Voilà qui nous rappelle que l’achimie du débat sur Internet et de la participation des Internautes reste assez mystérieuse et imprévisible…
Du côté des candidats et de leurs stratégies Internet, on se réfèrera à l’analyse du blog de Netpolitique dont voici quelques extraits :
« Rares sont aujourd’hui les candidats à ne pas avoir de blog (…) Mais, après la net-campagne enfiévrée des présidentielles, la net-campagne des Municipales a piètre allure : pas de Second Life, pas même d’applications 2.0 un tant soit peu innovantes, à peine un peu de Facebook à se mettre sous la dent et encore. (…)
(…) oui le net en politique s’est banalisé, mais au sens où il arrive désormais à maturité.
Que des centaines, voire des milliers de candidats utilisent aujourd’hui le web pour informer et échanger, c’est à la fois normal et formidable. Que l’on ait laissé tombé Second Life et la gadgétisation d’applications intéressantes mais parfaitement inadaptées à des enjeux locaux bien réels pour se concentrer sur l’essentiel, c’est rassurant. »
Pas mieux. La première conclusion est donc l’intégration très large de l’outil blog – le plus adapté à la problématique de campagne politique – dans les stratégies des candidats, tandis que les autres fonctions 2.0 étaient utilisées plus marginalement.
Le blog se présente comme un élément parmi d’autres dans une stratégie où il s’agit aussi surtout d’aller à la rencontre des électeurs sur le terrain. Le blog, oui, mais le marché du dimanche avant tout.
Et qui dit utilisation du blog ne dit pas utilisation optimale du blog. On en vient à un des points qui a fait débat dans ces élections : la modération, souvent a priori, des commentaires (voir chez Rue89 les exemples des blogs de Christian Estrosi et Martine Aubry). Le « faux participatif » qui expliquerait justement un engouement très modéré de l’électeur pour le débat local en ligne.
Et même plus largement (cf. Vicastel encore), des « équipes politiques locales moins bien formées au web que les partis nationaux », donc « une certaine maladresse dans la gestion des outils Internet. »
Quel impact d’Internet dans l’opinion ? On pourrait être tentés de dire que le niveau a priori assez limité de débat local sur le web montre que celui-ci n’a eu qu’un rôle mineur dans les Municipales.
Cependant, ce n’est pas parce que le débat a été limité que les prises de positions des candidats sur le web n’ont pas influé. Après tout, rien n’oblige les candidats à faire du participatif et ils peuvent très bien se servir des outils web dans une logique top-down : le blog non pas pour le débat, mais pour difuser ses idées et être lu. Ce qui peut influencer les lecteurs, oui oui…
En fait, l’analyse pose surtout problème du fait de l’éclatement des enjeux (36 000 communes = 36 000 situations à étudier) et cette absence de lisibilité doit nous rendre modestes au niveau des conclusions. Comme le dit NetPolitique :
« Verrons-nous un impact quelconque ? Dans certaines communes peut-être, où quelques centaines, voire quelques dizaines de voix peuvent la différence, soit l’audience du premier blog venu. On ne le saura sans doute jamais tant la composante web est désormais intégrée à la communication politique habituelle. »
Et c’est sans doute bien là le principal enseignement de ces élections. Internet semble s’être intégré comme un outil parmi d’autres dans les stratégies des candidats, et c’est bien normal. Internet semble s’être imposé comme un moyen d’information parmi d’autres pour les électeurs et c’est tout aussi normal (et en l’occurrence, son rôle est peut-être moindre dans une problématique locale que nationale).
Passer d’un extrême à l’autre (le web a tout changé en 2005, il ne change plus rien en 2008) serait exagéré. Au final, tout cela plaide pour la théorie de la normalisation du web chère à mon co-auteur Emmanuel.