Archives mensuelles : mars 2008

L’affaiblissement de la presse écrite et la question de la production de l’information brute

Moyenne d’âge des clients : 55 ans ; une confiance dans le produit tombée à 20% ; une valeur boursière en baisse de 42% depuis 3 ans ; un quart des jobs supprimés en moins de 20 ans : c’est le bilan de la presse écrite américaine tel que le dresse le New Yorker dans un long article intitulé « Out of Print : The Death and Life of the American Newspaper », dont Benoît Raphaël a fait un excellent résumé.

La situation s’explique comme on le sait, pour une partie importante, par une fuite du lectorat vers Internet, qui n’est pas à ce jour compensée par les revenus publicitaires du web. D’où un grave problème de modèle économique : que se passe-t-il si le point de rupture est atteint ?

Une des questions qui se pose est celle de la production d’information. On voit bien les audiences se déplacer progressivement vers le web (la situation n’est évidemment pas qu’américaine, même si en 2007 la presse écrite française fait de la résistance), mais le problème est qu’Internet duplique beaucoup l’information produite par les médias papiers, et la commente. Autrement dit, la production d’information brute par les médias en ligne (citoyens ou professionnels) est relativement marginale.

Emmanuel Parody le fait remarquer dans les commentaires du billet de Benoît Raphaël : la réussite d’un média comme le Huffington Post (LA référence du média participatif, 11 millions de visiteurs uniques par mois) repose sur l’agrégation et le commentaire d’infos produites par d’autres.

Question, donc : dans un environnement économique précaire, qui va produire l’information brute ? Celle que les autres médias vont reprendre, celle qu’Internet va dupliquer et commenter ?

On avait eu un début de réponse avec l’enquête de l’Université de Cardiff sur le contenu de la presse quotidienne britannique « sérieuse » : déjà aujourd’hui, près de 50% du contenu est fabriqué principalement avec d’autres sources journalistiques, les agences de presse ; et près de 20% du contenu est fabriqué principalement avec des relations publiques, c’est à dire à partir d’informations fournies par des émetteurs d’information comme les pouvoirs publics, les institutions, les entreprises et les marques.

La menace économique qui pèse sur la presse écrite peut avoir comme conséquence d’accroître le rôle des agences de presse et des autres émetteurs d’information.

Un boulevard pour les relations publiques ? Je n’en suis pas sûr : personne ne peut se réjouir de l’affaiblissement du rôle du journaliste dans la société.

Et par ailleurs, à cette analyse « favorable » aux émetteurs d’information, on peut opposer une analyse qui leur est « défavorable » : la prise de parole « citoyenne » dans la société de défiance, pose au contraire et de façon générale de sérieux problèmes aux pouvoirs publics, institutions, entreprises et marques.

Un rôle accru dans la production d’info d’un côté ; une défiance des individus exprimée sur le web de l’autre : on assiste à une situation de tension dont il est difficile de dire où elle mènera les émetteurs d’information. On est loin d’avoir fini de comprendre l’impact du web en général, et dans les relations publiques en particulier.

Municipales : l’impact du web dans l’opinion

Lorsque nous avons lancé Internet et Opinion, la première vocation que nous avons assigné à ce blog était de comprendre ce qu’Internet changeait, ou pas, dans les systèmes d’opinion. Dans quelles situations Internet modifie-t-il les opinions, avec quelle ampleur ? Qu’est-ce que le web influence, ou n’influence pas ? Vaste projet.

La réflexion n’était évidemment pas neuve et déjà nourrie par de multiples cas : le référendum de 2005, réputé être la preuve qu’Internet était une révolution dans les systèmes d’opinion, en était un.

Mais cette interprétation n’était-elle pas trop hâtive ? Le débat en ligne autour du référendum avait-il réellement changé les opinions des Français, ne les avait-elles pas simplement refletées ? Internet était-il l’oeuf ou la poule ? Ou un peu des deux bien sûr, mais dans quelle mesure ? Difficile de répondre évidemment, mais nous nous sommes toujours plutôt situés du côté des sceptiques.

L’élection présidentielle de 2007 est plutôt venue renforcer cette vision nuancée. Certes, on avait pu voir l’émergence de la popularité de François Bayrou sur le net. Certes, les résultats finaux semblaient refléter le buzz en ligne. Mais on pouvait aussi opposer que le choix de Ségolène Royal aux primaires du PS était totalement à contre-courant de la tendance dans la blogosphère ; que les socialistes, tout de même perdants in fine, étaient la première force dans la blogosphère (voir la blogopole de RTGI) ; et que finalement personne n’est venu dire que l’élection s’était jouée en ligne — contrairement au référendum.

Les élections sont des moments forts de la vie publique et à ce titre sont des terrains d’expérimentation et d’innovation en matière de communication et de médiatisation. Et aussi des moments majeurs d’apprentissage pour qui s’intéresse aux systèmes d’opinion. Il est donc utile de regarder avec un peu de recul quels enseignements on peut tirer de l’impact du web dans les municipales 2008.

Et la principale constatation est… l’absence de grandes conclusions visibles sur l’impact du web dans ces élections.

Peu de couverture média sur les relations entre web et municipales, pas de brillant exemple d’un candidat qui aurait gagné / émergé grâce à sa stratégie Internet… Un moindre engouement des Français pour les Municipales vs. les Présidentielles = une moindre vitalité du débat en ligne…

De prime abord on a donc l’impression que l’enthousiasme pour Internet se dégonfle un peu plus à chaque élection : après 2005, c’était Internet qui faisait les élections ! Après 2007, un peu moins… Et en 2008, plus du tout.

Pour aller plus loin, demandons-nous ce qu’on a vu sur Internet au niveau des électeurs, au niveau des candidats, et finalement au niveau de l’impact du web dans les résultats.

Au niveau des « électeurs », on retiendra le papier de Rue89 qui est allé jusqu’à lancer que la Netcampagne officielle était boudée par les internautes. Exemples à l’appui : les commentaires des sites de Bertrand Delanoë et Alain Juppé désertés. Ce qui effectivement la fout mal, c’est le moins que l’on puisse dire.

Mais Rue89 va au-delà de son titre racoleur et évoque les exemples de municipalités de second plan où le débat en ligne a au contraire été très vivace (exemples de Bussy Saint Georges et Grenoble).

Analyse de Stanislas Magniant (NetPolitique, PR2peer) cité par Rue89 : le débat serait inversement proportionnel à la taille de la municipalité. On commente plus facilement sur le blog de celui qu’on connaît, donc de l’élu qu’on connaît personnellement. La proximité fait le débat.

Pourquoi pas en effet, mais on peut aussi opposer à cette vision l’analyse de Vicastel, qui rappelle que le web sert à abolir les distances. Or, dans les municipalités les distances physiques restent accessibles. Le débat « In Real Life » resterait donc un moyen privilégié de politique locale.

On est au coeur d’une question complexe. Je ferais trois remarques à ce sujet :

– pour faire débat, il faut un minimum d’effet de réseau (ou d’audience potentielle sur Internet), ce qui fait défaut dans beaucoup de municipalités (éclatement des enjeux sur 36 000 communes) : mauvais point pour les petites communes, bon point pour les grosses.

– la proximité entre les individus permet effectivement de « décoincer » le débat (deux individus qui se connaissent se commentent plus facilement). Bon point pour les petites communes, mauvais point pour les grosses.

– le débat est aussi proportionnel à l’intensité (ressentie) des enjeux : toutes les municipalités ne sont pas Puteaux ou Asnières.

Voilà qui nous rappelle que l’achimie du débat sur Internet et de la participation des Internautes reste assez mystérieuse et imprévisible…

Du côté des candidats et de leurs stratégies Internet, on se réfèrera à l’analyse du blog de Netpolitique dont voici quelques extraits :

« Rares sont aujourd’hui les candidats à ne pas avoir de blog (…) Mais, après la net-campagne enfiévrée des présidentielles, la net-campagne des Municipales a piètre allure : pas de Second Life, pas même d’applications 2.0 un tant soit peu innovantes, à peine un peu de Facebook à se mettre sous la dent et encore. (…)

(…) oui le net en politique s’est banalisé, mais au sens où il arrive désormais à maturité.

Que des centaines, voire des milliers de candidats utilisent aujourd’hui le web pour informer et échanger, c’est à la fois normal et formidable. Que l’on ait laissé tombé Second Life et la gadgétisation d’applications intéressantes mais parfaitement inadaptées à des enjeux locaux bien réels pour se concentrer sur l’essentiel, c’est rassurant. »

Pas mieux. La première conclusion est donc l’intégration très large de l’outil blog – le plus adapté à la problématique de campagne politique – dans les stratégies des candidats, tandis que les autres fonctions 2.0 étaient utilisées plus marginalement.

Le blog se présente comme un élément parmi d’autres dans une stratégie où il s’agit aussi surtout d’aller à la rencontre des électeurs sur le terrain. Le blog, oui, mais le marché du dimanche avant tout.

Et qui dit utilisation du blog ne dit pas utilisation optimale du blog. On en vient à un des points qui a fait débat dans ces élections : la modération, souvent a priori, des commentaires (voir chez Rue89 les exemples des blogs de Christian Estrosi et Martine Aubry). Le « faux participatif » qui expliquerait justement un engouement très modéré de l’électeur pour le débat local en ligne.

Et même plus largement (cf. Vicastel encore), des « équipes politiques locales moins bien formées au web que les partis nationaux », donc « une certaine maladresse dans la gestion des outils Internet. »

Quel impact d’Internet dans l’opinion ? On pourrait être tentés de dire que le niveau a priori assez limité de débat local sur le web montre que celui-ci n’a eu qu’un rôle mineur dans les Municipales.

Cependant, ce n’est pas parce que le débat a été limité que les prises de positions des candidats sur le web n’ont pas influé. Après tout, rien n’oblige les candidats à faire du participatif et ils peuvent très bien se servir des outils web dans une logique top-down : le blog non pas pour le débat, mais pour difuser ses idées et être lu. Ce qui peut influencer les lecteurs, oui oui…

En fait, l’analyse pose surtout problème du fait de l’éclatement des enjeux (36 000 communes = 36 000 situations à étudier) et cette absence de lisibilité doit nous rendre modestes au niveau des conclusions. Comme le dit NetPolitique :

« Verrons-nous un impact quelconque ? Dans certaines communes peut-être, où quelques centaines, voire quelques dizaines de voix peuvent la différence, soit l’audience du premier blog venu. On ne le saura sans doute jamais tant la composante web est désormais intégrée à la communication politique habituelle. »

Et c’est sans doute bien là le principal enseignement de ces élections. Internet semble s’être intégré comme un outil parmi d’autres dans les stratégies des candidats, et c’est bien normal. Internet semble s’être imposé comme un moyen d’information parmi d’autres pour les électeurs et c’est tout aussi normal (et en l’occurrence, son rôle est peut-être moindre dans une problématique locale que nationale).

Passer d’un extrême à l’autre (le web a tout changé en 2005, il ne change plus rien en 2008) serait exagéré. Au final, tout cela plaide pour la théorie de la normalisation du web chère à mon co-auteur Emmanuel.

Lectures conseillées

Si comme Emmanuel Bruant vous êtes tombé dans un trou récemment, voici une sélection de bonnes lectures.

[On ne reviendra pas ici sur « l’affaire » de la semaine, la condamnation de Fuzz.fr / Eric Dupin dans l’affaire qui l’oppose à Olivier Martinez, car le sujet mérite d’être traité décemment.]

Allez donc lire :

– Benoît Raphaël qui liste tous les blocages des médias et journalistes « traditionnels » à l’égard du web. Des raisons économiques, juridiques, stupides aussi, mais finalement pour beaucoup culturelles.

– Palpitt qui mène l’enquête sur les pratiques… « interpellantes » d’un « acteur » du marché de la gestion de réputation en ligne. Comme si ce marché avait besoin de cela.

– Eolas sur la responsabilité juridique du blogueur. Long et complet donc indispensable.

– Le dossier très complet du Journal du Net sur l’application de la Loi Evin en ligne : un site de marque d’alcool, c’est de la pub, donc c’est interdit. Pour un blogueur qui perlerait d’une marque d’alcool en des termes positifs… c’est à voir.

– La dernière émission de l’Atelier des médias avec comme invité Benoît Thieulin. En plus de la discussion sur Mediapart, le web participatif et les médias en ligne, je retiendrai une idée : « la prochaine fracture numérique, c’est celle entre ceux qui sauront trouver et trier la bonne info et ceux qui ne sauront pas ».

Ce n’est pas le verbatim exact mais c’est l’idée et elle me paraît d’autant plus intéressante que je constate régulièrement dans ma pratique professionnelle que c’est une source d’inquiétude majeure pour les internautes et plus spécifiquement les communicants. A rapprocher du score de confiance en l’Internet qui s’élève à 31% dans le dernier baromètre TNS – La Croix.

Vidéo de la semaine : le rubik’s cube solutionné

Puisque les YouTube Awards ont rendu leur verdict, il nous fallait choisir la vidéo de la semaine parmi les lauréats. Un choix très personnel ici avec deux vidéos qui m’auraient beaucoup servi il y a quelque années : apprendre à résoudre le mystère du Rubik’s Cube.

A noter que les YouTube Awards ont redonné une visibilité certaine aux vidéos lauréates : dans le top 20 des vidéos les plus publiées au cours des 24 dernières heures (Viral Vidéo Chart), quatre sont lauréates des YouTube Awards (le bébé hilare n°5, « The Mysterious ticking noise » n°12, l’incroyable documentaire animalier pris sur le vif à Kruger n°14 et le Tetris humain n°15).

Polémique de la veille de l’Elysée : c’est aussi un banal dérapage de relations presse

3 lignes dans un article du JDD et la blogosphère est en émoi :

« Outre François de La Brosse qui s’occupe du site Internet de la présidence, un jeune normalien-HEC de 24 ans, Nicolas Princen, viendra renforcer ce pôle avec la charge de surveiller tout ce qui se dit sur la Toile, de traquer les fausses rumeurs et de déjouer toute désinformation à l’encontre du Président. L’objectif: contre-attaquer aussitôt. »

Pour revenir sur cette polémique, voir la remise en perspective de PR2Peer,  les conseils de veille online de Versac et la mise a point de Koz le rocker à l’attention de toutes les vierges effarouchées.

Un seul commentaire ici car tout est dit ailleurs : je suis très surpris par le nombre de commentateurs qui ont pris les 3 lignes de l’article du JDD pour une déclaration officielle de l’Elysée.

Car comment dire… Peut-on vraiment imaginer que l’Elysée ait communiqué la nomination de Nicolas Princen en disant qu’il devait « traquer les fausses rumeurs », « déjouer toute information » et « contre-attaquer aussitôt » ?

Alors soit on croit que les médias sont des machines entièrement contrôlées par l’Etat, soit on oublie de décrypter le langage du journaliste. Evidemment, ces 3 lignes sont « l’interprétation » que Florence Muracciole, la journaliste du JDD, fait de la description du job que l’Elysée lui a faite. Evidemment, l’Elysée a dû être sacrément en colère en découvrant le papier et ses conséquences sur le web. Le langage de l’Elysée est d’ailleurs très différent quand LePost lui redonne l’occasion de s’exprimer, cette fois avec ses propres mots, à ce sujet.

Tout cela est donc parti d’un banal dérapage de relations presse. Sans dérapage presse, pas de bad buzz. Ce qui nous apprend quoi ? Que le média « traditionnel » est encore le déclencheur, le faiseur d’opinion. Et que la parole du journaliste est perçue comme crédible et en l’occurrence assez faiblement décryptée. Bref, c’est un cas qui montre… l’importance des (bonnes vieilles) relations presse (traditionnelles).

L’Express, l’Expansion et les blogueurs : une stratégie de communication à suivre

L’Express et L’Expansion (groupe Roularta) s’approchent de certains blogueurs et journalistes pour valoriser leur production éditoriale. Plusieurs blogueurs ont reçu ce message et l’ont republié en totalité ou en partie (Olivier Ertzcheid, Philippe Couve, Damien Van Achter) :

« Bonjour,
Nous avons le plaisir de vous proposer de faire partie de la nouvelle liste de diffusion privée de L’Express et de L’Expansion, s’adressant ponctuellement à certains bloggeurs et journalistes sélectionnés.
Au programme, des contenus envoyés en exclusivité pour vous et votre blog xxx.com :
– des scoops en exclusivité
– certains éléments du magazine papier en avant première
– les endroits du web où L’Express et L’Expansion prennent la parole et créent l’évènement

Les scoops de L’Express :
Le patrimoine des candidat (
sic) à la présidentielle, les tumultes du couple Cécilia-Nicolas Sarkozy, la première interview de Carla Bruni, Simone Veil s’indignant de la proposition de Nicolas Sarkozy pour la mémoire des enfants juifs, Xavier Bertrand reconnaissant son appartenance au Grand Orient de France, mais aussi des sondages, des interviews exclusives, des classements…

Les scoops de L’Expansion :
Au cours de ses quarante années d’existence, L’Expansion a souvent innové et créé l’actualité économique par la publication de classements originaux et d’informations exclusives : liste des restaurants les plus rentables, carte des suppressions d’emplois dans l’industrie automobile, liste des villes qui vont basculer lors des municipales etc…
L’Expansion est le premier magazine à avoir mis en place un classement des patrons les mieux servis en stock-options, révélant ainsi au public ce système de rémunération et ses excès. Récemment, il a fait l’actualité en révélant les risques de santé publique liés aux importations alimentaires chinoises.

La fréquence d’envoi sera maîtrisée, mais dépendra largement de l’actualité.
Si vous souhaitez devenir membre de cette liste de diffusion, merci de nous le faire savoir en répondant « OK » à cet e-mail.
Bien sûr, vous pourrez à chaque envoi décider de ne plus recevoir de mail de notre part.

Christophe Barbier, Directeur de la Rédaction de L’Express
Alain Louyot, Directeur de la Rédaction de L’Expansion
« 

La méthode The Economist

La méthode est me semble-t-il inspirée de The Economist. On l’avait évoqué il y a quelques mois mais c’est Alain Joannès qui le raconte le mieux :

« Modèle de journalisme toutes catégories confondues, « The Economist » a identifié une centaine de blogueurs influents aux Etats-Unis.

La rédaction leur envoie les principaux articles de la prochaine livraison quelques jours avant la parution de la version imprimée.

Libre aux blogueurs privilégiés de commenter, ou non, les contenus qu’ils reçoivent en avant-première.

L’objectif est bien de susciter un « buzz » de qualité, dont la teneur et la propagation sont assurées par des prescripteurs reconnus et respectés dans les domaines politique, économique, technologique et culturel. »

Ces initiatives sont je pense de vrais bons exemples de recherche d’interaction on-off. On aurait tort d’y voir quelque chose d’anecdotique ou un enième principe de newsletter. On est au contraire dans de l’innovation qui montre un infléchissement de la vision qu’ont les médias de la blogosphère et qui est mis au service de la stratégie du titre.

Une innovation : à vrai dire on aurait même dû voir cela plus tôt en France. Le fait de délivrer de l’info en exclusivité et en avant-première à certaines personnes signifie que l’Express et l’Expansion eux-mêmes n’ont pas encore publié l’info : c’est donc « cadeau » pour les blogueurs.

Infléchissement de la vision qu’ont les médias de la blogosphère : oui c’est un retournement important pour un média dans la façon de voir les « influenceurs » en ligne, non pas comme des concurrents (la vision classique et prédominante dans la profession journalistique) mais comme des relais d’image. Le fait de « lâcher » des infos dans la blogosphère témoigne pour le groupe Roularta d’une acceptation de perte de maîtrise, ce qui est généralement le « saut » culturel le plus difficile à franchir.

Au service de la stratégie du titre : évidemment le bénéfice attendu est celui d’être cité comme source, comme le souligne Damien. Double intérêt à cela : l’image, d’abord : faire parler de l’Express et de l’Expansion dans cet espace extraordinairement décentralisé qu’est le web. Les liens (que les blogueurs ne manqueront pas de mettre vers leurs sources) ensuite, qui pourront faire progresser le référencement.

Et quand on sait que 80% du trafic d’un média en ligne peut venir du moteur de recherche, et que c’est ce trafic qui permet de vendre de la pub, on voit bien l’enjeu que révèle cette initiative.

On soulignera aussi au passage que pour beaucoup, le support web doit donner envie d’aller à la rencontre du support papier et permettre au final à la marque de gagner des lecteurs. C’était d’ailleurs un des points de Christophe Barbier dans son intervention sur la question des médias en 2028 et c’est aussi ce que montrerait la dernière étude U.S. publiée à ce sujet (allez, je choisis l’article de… l’Expansion comme source sur cette étude de Pew Research).

On notera également que le mail associe des « blogueurs et journalistes sélectionnés ». Là aussi on est dans une stratégie d’image intelligente car les influenceurs en ligne sont loin d’être les seuls blogueurs. Beaucoup d’opérations de PR online que je vois passer oublient la dimension journalistique…

En résumé, du point de vue stratégie j’applaudis les principes de la démarche : il y a une part de prise de risque (laisser les infos aux autres) mais qui révèle un bon niveau de compréhension des enjeux d’image et de trafic sur le web, et du fonctionnement de l’influence en ligne : le web est un espace décentralisé, plutôt que de rester seul dans mon coin avec mon site à attendre que l’on parle de moi, je vais à la rencontre des publics, à la fois blogueurs et journalistes, avec une info à valeur ajoutée pour eux.

Bref, et je suis lourd avec ça mais ça me paraît essentiel : ce sont des principes de relations publiques appliqués à la stratégie de deux « grands médias ».

Un problème de ciblage

Reste à savoir quels seront les résultats effectifs de cette opération. Car en revanche, on ne sait pas bien à qui le fait de faire partie de cette liste a été proposé et le fait que le blog Affordance ait été destinataire de l’info montre qu’elle n’est pas bien ciblée.

Cela sent malheureusement la liste de blogueurs vite constituée, sans doute à partir du classement Wikio comme le dit Olivier Ertzcheid, mais sans véritablement prendre le temps de regarder la ligne éditoriale des blogueurs. Car qui lit un minimum Olivier n’aurait jamais idée de s’adresser à lui pour lui vendre des « scoops en exclusivité », surtout ceux décrits dans le mail (Cécilia, Nicolas, Carla… Xavier Bertrand franc-mac… les meilleurs restaurants… les patrons les mieux payés…).

C’est pourtant un des principes de base de la communication avec les blogueurs : passer du temps à les lire avant de leur proposer quelque chose. C’est bête mais essentiel et beaucoup de « bad buzz » viennent de cette erreur.

L’information exclusive de l’Express et l’Expansion, telle qu’elle est présentée, intéressera plutôt les blogueurs people et les buzzers que les spécialistes des médias cités plus haut…

Enfin, un point à envisager pour l’Express et l’Expansion : retourner la logique et pointer vers des blogueurs dans leurs articles. On l’a déjà vu ici, ils font partie des médias en ligne qui utilisent un minimum le lien hypertexte, mais pour aller a bout de la logique d’ouverture, il faut pointer vers des blogs… qui ne sont pas seulement ceux du groupe Roularta.

Edit : opération définitivement mal ciblée.

Mediapart et « le détail qui tue » : la rédaction linke un communiqué de presse comme source d’info pour l’internaute

image-md.pngJe dois dire, à titre d’internaute, que je suis assez soufflé par l’interface de Mediapart et surtout, surtout, par sa première page. A la gauche de la une on trouve la conférence, une sorte de résumé de l’actualité, actualisé trois fois par jour.

Juste en dessous nous avons droit à une revue de web (cf. ma capture d’écran sur votre gauche) qui offre à l’internaute une sélection de liens hypertextes conseillés par le site pour creuser l’actualité. On y trouve quasiment que des liens vers des médias en ligne (rue 89,, le figaro.fr, le New Yorker…) Caché dans cette petite liste on trouve un intrus… PSA

Oui, oui, Mediapart vous propose d’aller lire le communiqué de presse de PSA qui annonce les résultats du rapport du cabinet spécialisé qui a mesuré le stress de ses équipes.

Le communiqué de presse est, comme son nom l’indique, à l’attention première des journalistes. Et l’on voit bien ici comment il peut être amené à jouer un rôle quelque peu différent lorsqu’il est linké directement par des journalistes comme une source d’information parmi d’autres. Potentiellement, le communiqué de presse ne s’adresse plus à un seul public mais se révéle un support d’attention pour un public plus large.

Nous avons vu naître l’usage, désormais quotidien et massif, des dépêches d’agence pour alimenter en continu les sites, verrait-on (ceci dans une moindre mesure, un CP ne sera jamais une dépêche d’agence) un nouvel usage journalistique du communiqué de presse ? Une info qui comble le site de son besoin d’actualité en attendant le travail plus approfondi d’un journaliste de la rédaction ? Les apôtres de l’entrepise media et de la désintermédiation vont se régaler…

PS : pour rappel sur le communiqué de presse 2.0, ce billet de François G.

La soudaine popularité d’Internet et Opinion(s)

Une fois n’est pas coutume, nous sommes restés trois jours sans écrire sur ce blog. La raison en est simple : il n’y a plus besoin d’écrire pour que les lecteurs se précipitent sur Internet et Opinion(s).

Ces trois dernières journées ont en effet été parmi les meilleures de la petite histoire de ce blog au niveau statistique, comme en témoigne cette capture d’écran (stats par jour) :

stats i&o

Et oui, près de 1000 pages vues vendredi, 600 samedi et 500 dimanche alors que les jours de week-end sont censés être « morts », le tout même alors que nous n’avions jamais dépassé les 700 pages vues et que nous tournons à 300 les bons jours.

Pourquoi cette soudaine popularité ? Nous aimerions nous persuader que ce blog est devenu indispensable pour des centaines et des centaines de lecteurs, mais il nous faut affronter la réalité et la voici, sous la forme du tableau de requêtes mots-clé de la journée d’hier  :

mots clé i&o

Et oui, environ les trois quarts de ce soudain emballement est lié à des recherches sur le mot clé « r4v3n ». r4v3n, c’est le défunt annuaire de streaming dont nous avions parlé il y a quelques semaines. Il se trouve que Google nous a classés en 6ème position sur le mot clé « R4V3N » vendredi et cela nous a valu des centaines de visites d’internautes inquiets à la recherche de leur site favori. Des centaines de visites dont on peut supposer qu’elles n’auront pas duré plus que quelques secondes.

Amis référenceurs, aviez-vous pensé à ce truc imparable ? Etre les premiers à parler de la mort d’un « gros » site (avec son nom dans le titre du billet évidemment) et ainsi récupérer le trafic de ses visiteurs inquiets de ne plus le trouver en ligne et qui se précipitent à sa recherche sur Google ?

Evidemment ici nous n’avons pas de pub à vendre et souhaitons avoir l’audience la plus qualifiée possible. Les « erreurs Google » (trafic mal qualifié en provenance du moteur de recherche) représentaient une part très minoritaire de notre trafic jusqu’à présent, on espère revenir à une situation plus normale et plus lisible. Ce matin Google nous classe en 20ème position sur « r4v3n », le phénomène devrait donc se tasser un peu tout en représentant encore des centaines de visites éclair.

Vidéo de la semaine : « faites le test »

On vient de tomber sur ce qui sera indiscutablement la vidéo de la semaine. Impossible d’en dire plus :

La voir ici dans son contexte original ou si la version de YouTube est retirée. Ca buzze.

A noter une sombre histoire de Copyright qui oppose l’agence WCRS à Daniel J Simons, universitaire américain qui a produit le concept en 1999.

Merci à Pierre qui se reconnaîtra pour l’info.

Les nouvelles règles du jeu

Histoire de nous ouvrir un peu au monde, nous accueillons désormais des invités pour des contributions extérieures. Voici la première d’entre elles, que nous avons demandé à Charlotte Létondot, qui sera notre spécialiste ès-jeux vidéo (et plus si affinités) et nous parle de l’intégration des MMORPG dans les stratégies communication et marketing.

sacrieur

On connaissait les rapports étroits entre jeux vidéo et cinéma. Voilà aujourd’hui que les jeux en réseau se rapprochent de la télé.

Ce rapprochement est l’œuvre d’un MMORPG (Massively Multiplayer Online Role Playing Game ou jeu massivement multi-joueurs) en phase de bêta test depuis novembre 2007, Wakfu. Il s’agit d’un univers médiéval et fantastique créé par Tot alias Anthony Roux, le créateur de Dofus. Ca ne vous dit rien ? C’est pourtant le jeu en réseau qui rassemble la 2ème communauté de joueurs français derrière World of Warcraft.

C’est dans le business model de Wakfu que se trouve la nouveauté.

Premièrement, Wakfu n’est autre que l’univers de Dofus transposé 1000 ans plus tard. Voilà de quoi se sentir chez soi pour les 200 000 connectés quotidiens de Dofus.

Deuxièmement, et c’est là la vraie originalité de Wakfu, il est simultanément développé et produit en série télé. Method Films, une société de production de films d’animation, s’est associé à Tot créer cette déclinaison audiovisuelle du jeu. De quoi séduire une foule de jeunes, voire très jeunes téléspectateurs et surtout inventer une nouvelle interactivité entre jeu en réseau et télévision. Le préalable nécessaire à ce développement : Dofus est un jeu peu violent et reconnu comme tel par des acteurs tels que Familles de France ou l’AFJV.

Dans un article de Télérama, Tot déclarait ainsi être de plus en plus sollicité par des chaînes de télé, « pour qu’on leur ponde des MMORPG basés sur leurs séries. ». Les MMORPG seraient-ils en passe de devenir un média à part entière ? Cela équivaudrait à remettre en question la notion même de communauté de joueurs, pour l’instant seule détentrice de la sous-culture et des symboles produits par ces jeux.

En termes de stratégies de communication et de marketing, l’accessibilité de la culture MMORPG à un grand nombre et les passerelles entre médias ouverte par Wakfu ouvrent le champ de possibles dans un domaine peu exploité. A surveiller donc.