« Ce site / blog / média en ligne est-il influent ? ». C’est une des questions les plus courantes, j’allais dire tarte à la crème, dans les RP online. Que la couverture soit voulue ou subie, favorable ou défavorable, analytique ou irréfléchie, morale ou factuelle, étayée ou superflue, chaque fois qu’on parle de vous la question se pose et le rôle du conseil est de donner les clés de décryptage de « l’influence » ou de « l’importance » d’une couverture donnée sur un site donné.
Cette analyse d’influence repose à la fois sur la couverture elle-même (importance du sujet abordé aux yeux du client, nature et crédibilité des arguments, etc.) et sur le lieu où ce billet est déposé. D’où la question ci-dessus : « ce site est-il influent ou pas » ?
Sans vouloir entrer dans le détail de ce qu’on appelle l’influence sur le web (d’ailleurs personnellement je ne suis pas à l’aise avec l’usage permanent qui est fait de ce terme), on distingue trois niveaux d’analyse – complémentaires et imbriqués – pour apporter une réponse :
1. les indicateurs de reconnaissance dont le site / blog bénéficie (par exemple, la notion d’autorité basée sur les liens entrants Technorati, le PageRank Google, etc.)
2. les indicateurs de qualité du site (richesse / fréquence de la ligne éditoriale, commentaires, graphisme, etc.) qui sont analysés par l’oeil humain.
3. les indicateurs d’audience (c’est quand même bien de savoir combien de gens passent sur ces pages)
Toutes ces méthodes apportent quelque chose. Aucune de ces méthodes n’est satisfaisante. On en avait déjà parlé sur ces pages (d’ailleurs, ça me ferait plaisir si vous cliquiez ici pour aller relire notre papier d’analyse sur la méthodo du classement des blogs média et marketing d’Advertising Age).
Et on en a eu une nouvelle preuve récemment sur le troisième critère que je cite ici et qui est celui sur lequel nous allons nous attarder : l’audience.
Mais revenons un instant sur la notion d’audience en RP.
Si l’audience est le Graal en publicité, elle n’en est pas moins une notion majeure dans l’évaluation RP traditionnelle. Evaluation RP traditionnelle qui, si elle est compliquée et délicate, peut au moins s’appuyer sur des données de diffusion certifiées pour la majorité des titres de presse professionnelle : merci l’OJD.
Pas d’OJD de système de mesure généralisé de l’audience sur le web. Ou si peu. La notion d’audience des sites et des blogs en particulier est aussi mystérieuse que l’affaire des disparues de la gare de Perpignan (je regarde beaucoup Faites entrer l’accusé). Alors, des mesures d’audience, on en a : Médiamétrie, OJD Internet, Nielsen Netratings, Comscore… mais on parle de mesures – pas forcément publiques – qui concernent un nombre limité de sites à forte audience (il faut un minimum de 30 000 visiteurs uniques pour entrer dans Médiamétrie).
« Un nombre limité de références à forte popularité »… ça ne vous dit rien ? Bon sang mais c’est bien sûr : on est dans le haut de la longue traîne médiatique. La longue traîne médiatique, on en a déjà parlé sur ces pages : c’est l’idée, forcément schématique, qu’Internet, en facilitant la possibilité pour chacun de créer son propre média, donne (ou renforce, c’est selon) au paysage des médias une forme de longue traîne :
– des références en nombre limité qui ont de fortes audiences d’un côté (les médias « professionnels »)
– des références en très grand nombre avec des audiences de niche de l’autre, qui tendent vers zéro (les médias « personnels »).
(By the way rappelons que LiveJournal, un des services de blogs les plus populaires aux Etats-Unis, a indiqué que l’audience MOYENNE de ses 12.5 millions de blogs était de 7 lecteurs. Sept. Si c’est pas de la longue traîne, ça…)
Donc, puisque la question posée ici c’est : « et comment je fais pour savoir si ce site qui parle de moi est influent ? » et puisque là où je veux en venir, c’est la nécessaire prudence qu’il faut avoir avec la notion d’audience sur le web, on va dire que les méthodes « certifiées » de mesure d’audience, pour le conseil en RP, portent uniquement sur le haut de la longue traîne médiatique (en vert sur le graphe).
Et donc, comment je fais pour le bas de cette longue traîne (en jaune) ? Comment je fais quand, dans 97% des cas, je suis cité sur un blog dont l’audience n’est pas indiquée dans ces panels ?
Tentation : s’appuyer sur les « nombres d’abonnés au flux RSS » souvent (mais pas toujours, loin de là) affichés sur les blogs – vous savez, ces « XXXX readers » Feedburner qui nous disent que TechCrunch a « 154 K lecteurs », que Loïc Le Meur en a 25 279, que GuiM en a 1509 ou que Henri Labarre en a 7420 (on s’était même amusés il y a quelques semaines, sur i&o, à relever le nombre d’abonnés « déclarés » dans le top 50 de Wikio).
(TechChrunch compte les abonnés par 1000, comme i&o prochainement d’ailleurs)
Et bien non ou en tout cas : gaffe. La lisibilité des audiences du web « longue traîne » est encore moindre que ce qu’elle n’y paraît. C’est d’ailleurs l’objet de billets récents chez Emmanuel Parody et 2803 (à la suite d’un billet de Mashable U.S). Vous pensiez que le nombre d’abonnés indiqués par certains blogs allaient vous tirer de votre mauvais pas ? Que nenni. Tout porte à penser qu’il faut être extrêmement méfiants vis-à-vis de ces données.
Sans vouloir faire trop technique, on distingue plusieurs problèmes :
– les stats artificiellement gonflées par les moteurs de recherche qui indexent les flux (ça concerne tous les sites)
– les stats artificiellement gonflées par la présence du flux RSS dans un « package promotionnel » d’un service type Google Reader (ex : je m’abonne à Google Reader, on me met d’office un certain nombre de flux RSS en surveillance) : d’où des abonnés qui ne LISENT PAS les flux (ça concerne les gros sites)
– sans parler du décalage entre les stats d’abonnements au flux RSS et les stats « publiques » du site : si l’intégralité du contenu est dispo sur le flux RSS, je n’ai pas de raison de me rendre sur le site
– et (ça c’est moi qui le dis) le problème posé par la gratuité de l’abonnement : contrairement à la presse papier, on s’abonne mais on ne se désabonne jamais (ou si peu).
On peut observer ces décalages comme Henri Labarre l’a fait en jouant avec Google Reader : faire « add suscription » en entrant un bout d’url du blog recherché et voir le résultat (et après ça on préfère admirer son compteur WordPress). Pour ce qui le concerne, Feedburner indique environ deux fois plus de lecteurs via Google Reader… que Google Reader lui-même.
La compréhension de la notion d’audience, en tant que clé de lecture de l’influence, est donc encore plus complexe qu’il n’y paraît sur le web.
MAIS.
Mais est-ce que c’est grave ?
Pas pour les gens de publicité, mais pour les gens de RP, je veux dire.
Réfléchissons un instant : la notion d’audience a surtout du sens quand elle porte sur des sites dont les niveaux d’audience sont élevés (vous allez me dire, c’est quoi un niveau d’audience élevé et là je suis mal parce qu’effectivement je n’en sais rien. Mais vous allez voir où je veux en venir). Et quand les niveaux d’audience sont différenciés d’un média à l’autre.
Exemple : on réfléchissait récemment avec un client au choix d’un média papier à qui proposer une belle info. La réflexion a surtout été conduite autour de la cohérence rédactionnelle / profil du lecteur par rapport à l’info en question / image du support, mais aussi quand même un peu par rapport à l’audience du média. Et là, dans notre « short list », on avait des supports dont la diffusion variait de plus ou moins 100 000 exemplaires.
Les audiences des blogs, elles, ne varient pas de 100 000 lecteurs. C’est justement tout le principe de la longue traîne médiatique décrit plus haut : audiences de niche, peu différenciées.
Donc est-ce qu’on a besoin de connaître exactement ces audiences, puisque les blogs sont par définition et dans l’ensemble sur de « petites » audiences ? C’est ici qu’il nous faut rappeler que la réflexion « traditionnelle » de stratégie de communication fonctionne différemment sur le web. Elle obéit grosso modo à 3 finalités :
I. on est moins là pour faire de l’audience que pour parler à un public bien qualifié (ce qui est est complètement naturel dans les RP, au passage) – les fameuses « communautés » (qui ne sont d’ailleurs pas vraiment des communautés mais bon), ces relais d’opinion dont les niveaux d’expertise sont, on l’espère en tout cas, assez élevés sur leur sujet. On est dans une logique d’hyperqualification plus que d’audience.
II. on est aussi là pour « rendre un message disponible » : et oui, la navigation sur le web c’est beaucoup de search. L’idée des RP en ligne étant justement d’essaimer un message pour le rendre plus facilement accessible dans l’espace profondément décentralisé qu’est le web (notons à nouveau que cette idée « d’essaimer » est complètement naturelle dans les RP). C’est à dire faire en sorte que celui qui se renseigne puisse trouver son info : on agit alors moins sur de la puissance (audience) que sur de la crédibilité et de la conviction.
III. enfin on bénéficie du retour d’expérience du consommateur, dont les réactions ont souvent beaucoup de choses à apprendre à la marque. Soit une logique bottom-up.
Vous allez donc me dire : tout ce papier pour démolir la notion d’audience.
Mais nooooooooooooon.
On est bien contents, quand on a des audiences connues et fiables. Ca aide bien à la comprendre, cette mystérieuse « influence » sur le web.
Mais (et hop, résumé de l’article) : il y a deux points de relativisation de l’audience quand on fait des RP en ligne (au fait, « RP » c’est à dire : quand on apporte un message à un public).
1. la finalité de ces stratégies porte moins sur l’audience (la masse) que sur ce que je viens de lister en 3 points (vous remontez les yeux svp sur les I, II et III, je ne vais pas les recopier, je radote assez comme ça)
2. la compréhension de « l’influence » d’un site s’appuie sur la complémentarité de plusieurs critères (et là c’est au début de l’article que l’on remonte et ce sont les chiffres arabes, pas romains), l’audience n’étant que l’un d’eux. Et l’œil humain n’étant pas le moindre.