Archives mensuelles : novembre 2007

L’influence culturelle du « web 2.0 » sur les médias traditionnels : l’exemple de la page télé de Libé

Je remarquais il y a deux jours la similitude entre un article du monde et les possibles billets de blogueurs sur l’Iphone. François Guillot faisait remarquer, à juste titre, que cela ressemblait bien à une influence culturelle du web 2.0 sur les pratiques des rédactions papiers (je mets de côté les nouveaux projets web de ces journaux du Monde à Libé en passant par télérama). Un nouvel exemple m’a sauté aux yeux hier en partant faire un tour du côté de libe.fr: les internautes vont (manifestement) désormais choisir quel sujet traité dans la page télé du samedi :

Nous, le journalisme participatif, on adore. Tenez, on aime tellement ça que c’est vous, internautes chéris qui allez choisir le sujet de la page télé de samedi. Oui, c’est comme ça qu’on envisage le journalisme participatif : vous, vous participez et nous, on fait le journalisme. Faut pas déconner non plus

Simple pirouette d’un journal qui va mal ou signal faible (ce n’est que la page télé, tout comme le retour en force du courrier des lecteurs) d’une modification des pratiques des journalistes ? A chacun de se faire son avis… Pour en savoir plus sur l’intention des deux journalistes en question, suivez le guide.

Internet, outil de consultation et de légitimation (?) syndicale : l’exemple du vote des étudiants de l’UNEF

J’avais déjà cherché à analyser l’usage fait d’Internet par la direction de Paris-1 il y a quelques jours. La dernière initiative de l’Unef va dans le même sens (même si les intérêts sont bien entendu différents). Le syndicat étudiant a en effet décidé de lancer une consultation sur Internet de ces adhérents. Le vote a eu lieu de mercredi 12h00 à jeudi 16h00.

Voir un syndicat interroger sa base pendant un conflit est assez étonnant quand on connaît les traditions de ces organisations (étudiantes ou non; on privilégie d’autres capteurs ou thermomètres comme les délégués syndicaux par exemple). Mais l’on sait aussi que l’Unef est très loin de faire l’unanimité au sein des étudiants grévistes. Sa légitimité est remise en question. Comment reprendre la main et appeler à cesser la grève sans que l’annonce apparaisse comme stratégique ou « politicienne » aux yeux des grévistes? Comment garder la face ? C’est là que la consultation sur Internet vient à la rescousse.

unef.pngUne manière de contrebalancer, de rendre visible les étudiants qui souhaitent s’arrêter là par rapport aux étudiants qui veulent continuer la lutte. La consultation sur Internet est tout sauf anodine dans la constitution du rapport de force entre les étudiants. Ces usages d’Internet seraient-ils en train de modifier la conduite des mobilisations collectives ? Offrent-ils aux directions syndicales de nouveaux outils de représentation ?

Quels que soient les résultats ces questions me semblent à creuser. (La mobilisation des étudiants britanniques contre HSBC est du même acabit)

PS : plus de 70% des votants se sont prononcés pour la suspension de la grève. Et le communiqué qui l’annonce est très clair et conforte mon analyse. Un extrait :

Le rapport de force étudiant doit être préservé et se poursuivre sous d’autres formes, afin notamment d’obtenir des garanties des universités sur la démocratie ou sur les recrutements de personnels contractuels.

L’UNEF met en garde les étudiants contre les risques de radicalisation et de pourrissement de la mobilisation et rappelle que la préservation des capacités de mobilisation des étudiants à l’avenir est une priorité.

La première page de recherche

Et allez, hop, une petite vieillerie.

Delerm nous a habitué à la première gorgée de bière. Avec Google, nous nous sommes habitués à la première page de résultats. Abondance avait relevé cette étude en provenance de la société iprospect (et réalisée par Jupiter Research) qui date de 2006.

À la question, « quand vous faites une requête sur un moteur de recherche et que vous regardez les résultats, combien approximativement, d’entrées regardez-vous avant de cliquer sur l’une ? » 62 % des internautes interrogés cantonnent leur recherche à la première page. Le genre de résultat qu’il est bon d’avoir en tête, même si il a sûrement évoulé depuis.

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Blogueurs et journalistes : de la porosité des styles et des sujets

Le Monde d’hier (édition du 27/11/07) a consacré une partie de sa première page à l’arrivée sur le marché de l’Iphone. L’article signé Joël Maro m’a particulièrement frappé par son style. J’ai eu l’impression de lire le papier d’un blogueur, de ceux qui privilégient le test produit : on me l’a prêté, j’ai essayé, je vais vous en parler. De mémoire de lecteur (fidèle, plus de dix ans d’abonnement désormais) je ne me souviens d’un article dans ce style là (Le Monde 2 nous a lui habitué à la démo produit laudatrice, donc convenue, disponible dans la plupart des hebdomadaires). Je pense n’avoir jamais lu un papier qui me liste les forces et faiblesses d’un produit dans le « grand » quotidien du soir, empruntant une perspective utilisateur et consumériste.

Cette incursion sur un sujet très différent de ce que traite Le Monde habituellement est peut-être l’indice d’un effet indirect et diffus des blogueurs (en l’occurence les blogueurs tendance conso avec leurs styles, leurs sujets de prédilection) sur les rédactions et les journalistes les plus consacrés.

PS : l’article, jusqu’à sa disparition dans les limbes archivistiques du journal, se trouve à cette adresse

Christian Salmon dans le Monde 2 : une interrogation sur le storytelling

Préambule : sur ce blog nous nous efforçons de livrer de l’analyse et si nous parlons politique ce n’est surtout pas pour livrer des opinions. Ayons-le en tête avant d’attaquer ce qui suit :

Lu dans le Monde 2 de ce week-end (pages 33-34), sous la plume de Christian Salmon, l’auteur de « Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater des esprits« , dont nous avons déjà parlé sur ce blog et à qui le journal a demandé une analyse du discours présidentiel:

« On a parlé au moment de l’élection de Nicolas Sarkozy d’un 10 mai 1981 de la droite. Pourtant le différence de story saute aux yeux. L’investiture de François Mitterrand se déroula en présence de Pierre Mendes France, on évoqua 1936, Léon Blum, la Résistance, mai 68, tandis que la prise de fonction de Nicolas Sarkozy avait des airs de série B ou d’opérette lorsque l’orchestre de la garde républicaine a joué Asturias, une pièce d’Isaac Albéniz, aïeul de la première dame. Alors que l’un descendait à la crypte du Panthéon où reposent les grands hommes, abolissait la peine de mort, l’autre abolissait la politique. IL entamait son mandat par un jogging au bois de Boulogne, arborant comme une provocation le logo NYPD. L’installation à l’Elysée ressemblait plus à la mise en scène d’une success story qu’à une passation de pouvoir, davantage à l’entrée dans une fiction qu’à l’entrée dans une fonction. On eut dit que l’Elysée avait été loué pour le tournage d’une série télévisée – sans oublier la photo officielle par un photographe people (…) »

Je n’ai pas lu Storytelling et je serai preneur d’éclairages de personnes qui l’auront lu. J’avais cru comprendre que le Storytelling était une forme de communication politique consistant à occuper l’agenda médiatique en racontant des histoires (au sens premier du terme).

J’ignore quelles spécificités Christian Salmon met dans le storytelling par rapport à la communication politique en général, mais le passage extrait du Monde 2 m’interpelle énormément : la prise de fonction de Mitterrand ne relevait-elle pas elle-même du storytelling ? Y’a-t-il dans ce cas un bon storytelling et un mauvais storytelling ?

Je n’avais pas cru comprendre cela de ce que j’ai intercepté à propos de Christian Salmon. Il me semblait qu’il se plaçait d’un point de vue moral visant globalement à condamner le storytelling (par ailleurs, une fois qu’on a dit que quelque chose est mal, ne faut-il pas dire ce qui est bien? Autrement dit, que faudrait-il mettre à la place du storytelling ?)

Christian Salmon ne semble pas dire : « Sarkozy est un storyteller, chose que Mitterrand n’était pas », puisqu’il dit « la différence de story saute aux yeux« . Ce qui signifie plutôt qu’il faut comprendre qu’il y a un bon storytelling et un mauvais storytelling.

Ou le passage retranscrit ci-dessus ne constitue-t-il pas juste une leçon de storytelling par un storyteller qui cherche à influencer des perceptions ? Christian Salmon n’est-il pas ici finalement un arrosé arroseur ?

« Médias et Internet : le nouvel écosystème médiatique » (un résumé de la rencontre du 22 novembre)

Bravant les grèves, nous avons tenu jeudi dernier nos dernières « Rencontres du Management de la Communication », événements professionnels organisés par i&e à l’attention de ses clients, prospects, partenaires et amis.

RMC

Le thème : « Médias et Internet : le nouvel écosystème médiatique ». Nous étions 4 intervenants : Pascal Riché de Rue89.com et trois représentants de l’agence : Iannis Aït-Ali, responsable du Centre d’Expertise Médias, Jean-Pierre Beaudoin qu’on ne présente pas et votre serviteur. Pour ceux qui n’ont pu être là et pour ceux qui souhaitent continuer la conversation, je retiens quelques messages-clé pour chacune des inteventions (dans l’ordre chronologique) :

Pascal : l’information traditionnelle est actuellement soumise à un double choc: un choc technologique (l’irruption du Web 2.0) d’un côté et la crise de défiance vis-à-vis des médias traditionnels, de l’autre. D’où le succès de Rue89. L’expérience de blogging des correspondants de Libé à l’étranger qui ont fondé Rue89 (Pascal Riché, Pierre Haski, Laurent Mauriac) leur a fait découvrir une autre façon de faire du journalisme: un journalisme « de conversation » (avec le lecteur) et non un jouralisme vertical, où l’on se contente d’octroyer de l’information, de haut en bas. Rue89 réconccilie le journalisme professionnel avec la culture de l’internet, en s’affranchissant de bien des formats désormais dépassés. On mèle texte son et vidéo, l’écriture est libérée, le rapport à l’information sensiblement modifié : moins de top down (Rue89 n’est pas abonné à des fils d’agence de presse, pour échapper à l’agenda médiatique) et plus d’échange avec les internautes: ils sont à l’origine de plusieurs scoops qui ont accéléré le succès du site (on pense évidemment au scoop JDD – Cécilia n’a pas voté). Le succès du site, avec près d’un million de visiteurs par mois au bout de 6 mois, dépasse les espérances : ces chiffres étaient attendus pour fin 2008.

Votre serviteur : le paysage des médias connaît une période de destruction créatrice. Le web 2.0 favorise l’émergence d’une longue traîne médiatique : un monde horizontal fait de médias personnels dont les influences sont des influences de niche. La principale distinction à faire n’est pas entre offline et online, mais entre médias faits par des pros de l’information et médias personnels. C’est toute la consommation d’information qui est bouleversée : en favorisant le search, le surf, l’abonnement, le partage et la conversation, le web 2.0 rend l’information moins subie et plus choisie et permet au lecteur de devenir plus expert. Ce sont autant d’éléments que le communicant doit prendre en compte ; ces nouveaux territoires présentent de nouveaux risques et de nouvelles opportunités, et invitent l’émetteur d’information à entrer dans des logiques moins top-down, avec un discours moins insitutionnel et des formats diversifiés.

Iannis : les médias dits « traditionnels » restent structurants dans l’opinion car ils sont les producteurs d’information, sont ceux qui réalisent les plus fortes audiences et s’appuient sur un capital-marque. Là où la presse écrite, la télévision et la radio sont forts sur l’information et la mise en perspective, Internet ajoute du commentaire. Par ailleurs, l’attrait pour Internet ne doit pas bouleverser la façon de penser une stratégie de communication. Les questions à se poser (dire quoi, à qui, pourquoi et comment) sont immuables. Il n’y a pas deux mondes séparés, le réel et le virtuel, mais des organisations et des publics qui ont des relations. L’intégration du on et off doit donc être une donnée au moment de la réflexion stratégique, qui devra tenir compte des spécificités du online : les blogs sont des médias, mais les blogueurs ne sont pas des journalistes. A partir de là, des règles de bonnes pratiques existent, qu’il faut bien intégrer, et les stratégies de RP online apportent des bénéfices complémentaires des stratégies médias.

Jean-Pierre : le web 2.0 est construit sur les mêmes éléments constitutifs que les marques : un réseau, une communauté, un partage de valeurs et une fidélité. Pour autant, est-ce « the match » (le fit) ? Car là où les marques sont dans des logiques de marché, le web 2.0 est dans une logique de société. Est-ce donc « le match » (l’affrontement) ? La logique de marché ne peut s’imposer à la logique de société car elle crée du rejet. Quant à la logique de société, elle s’invite toute seule dans la logique de marché. Aux marques de penser à la fois leurs valeurs et leur usage pour devenir des points de repère dans le monde de la longue traîne.

La conversation est ouverte.

Lectures de la semaine

Quelques lectures en vrac, durant cette semaine :

  • Après les coups de gueules de Chris Anderson et d’Embruns, c’est au tour de Versac de mettre les choses au point. Nos camarades de PR2Peer reviennent aussi sur la question des relations avec les blogueurs.
  • Un excellent papier, instructif et vulgarisateur sur la notion de capital social, exemples de Prison Break et de Facebook à l’appui. Merci à Une heure de peine, blog d’un professeur de SES.
  • En V.O., deux compte-rendus d’une table outre-atlantique que deux participants (ici et ) résument ainsi : « PR vs. Advertisers: Can’t We All Just Get Along? » Un débat  loin d’être clos. En France, on frise plutôt l’indifférence.
  • L’interview de Deelight, fondateur du site Martine cover generator, sur Ecrans.fr. Il explique que certaines agences l’ont contacté pour savoir comment il s’y était pris. N-ième rappel avec Deelight : un buzz ne se contrôle pas  et ne se décrète pas.  
  • Toujours chez Ecrans, une autre interview, celle de Vincent Dufief, avocat au Barreau de Paris, autour des possibles dérives de Facebook. En écho, sur le même site, un entretien avec un autre juriste, professeur à l’EDHEC, Cédric Manara.
  • Le papier (alarmant ?, inquiétant ?) de Nicolas Kayser-Bril pour rue 89 : « comment gagner de l’argent grâce aux failles de google ? »

Information R/evolution, la nouvelle vidéo de Michael Wesch

De nombreux blogs en ont déjà parlé et François Guillot l’avait évoqué, mais j’assume le fait d’être à la (longue) traîne. Michael Wesch, professeur d’anthropologie est, à ses heures (non) perdues, un vidéaste de talent qui nous sensibilise aux nouveaux enjeux et conséquences d’Internet sur nos modes de pensée (le site de son groupe de travail).

Il a posté sur YouTube une nouvelle vidéo, Information R/evolution, sur nos manières de gérer et de distribuer désormais l’information. Par la qualité de la réalisation, de la pertinence des questions qui sont soulevées et de la fulgurance de certains propos, cette vidéo est à regarder (et à méditer) absolument :

Pour ma part, je suis beaucoup moins convaincu et enthousiaste qu’après le visionnage d’une autre de ses célèbres vidéos, The Machine is Us/ing us. En effet, cette nouvelle démonstration en image me semble passer sous silence de nombreux faits et exemples qui altèrent grandement l’optimisme qui sous-tend son argumentation (en gros, le prémisse argumentatif réside dans l’idée que « nous sommes l’information », que « nous produisons l’information », un « nous » et une généralisation qui ne me satisfont guère : les faits me semblent infirmer en grande partie cette vision ; en effet, les médias de masse même si leur audience s’érodent ou stagnent restent très structurants aujourd’hui ; pour ce qui est de l’avenir il nous le dira en temps et en heure). The Machine is Us/sing us a la qualité d’être cohérente avec de nombreuses recherches en anthropologie de l’écriture. Information R/evolution cède un peu plus à la facilité pour l’évangélisation d’une hypothétique sagesse des foules. Voilà pour mon point de vue, je serais ravi d’avoir le vôtre.

Pour les nouveaux venus ou les aficionados, je me sens Henri Langlois et i&o se fait Cinémathèque :

Le consommateur, Internet et les asymétries d’informations

Le cas qui va suivre n’est pas nouveau et fera écho par ailleurs à vos propres expériences d’internautes patentés (et puis, une démonstration un peu scientifique à la place de quelques intuitions, cela ne fait pas de mal de temps en temps). Je l’ai découvert dans un livre à succès réédité récemment en poche, Freakonomics (et néanmoins tendancieux, à lire avec précaution – ce à quoi les auteurs n’invitent pas). Comment à la fin des années 90, le prix de l’assurance décès à terme s’est effondrée, alors même que les prix d’autres types d’assurance (maladie, auto…) augmentaient ?

C’est à peu près en ces termes qu’est formulée la question de départ de deux économistes Jeffrey R. Brown et Austan, ( “Does the Internet Make Markets More Competitive? Evidence from the Life Insurance Industry,”, disponible ici en working paper). A partir des données recueillies, ils montrent que cette baisse des prix de l’assurance décès est étroitement corrélée aux consultations de sites comparateurs ad hoc qui fleurissent au printemps 1996. La comparaison est d’autant plus aisée que ce produit a la particularité d’être assez homogène d’une société d’assurance à l’autre, le prix étant la caractéristique discriminante. Leurs principales conclusions sont les suivantes :

  1. plus un groupe donné a adopté Internet rapidement plus les prix ont baissé pour cette catégorie de clients;
  2. la massification de l’usage d’Internet entre 1995 et 1997 a fait baisser les prix des assurance vie dans une fourchette située entre 8 et 15%. (les auteurs estiment le surplus consommateur entre 115 et 215 millions de dollar par an).
  3. A terme, la dispersion des prix semble diminuer.

La conclusion de ce papier, nous pouvons tous dès lors l’imaginer. Mais comme j’ai découvert ce papier via le bouquin de Levitt et Dubner, je terminerai par une courte conclusion de leur cru :

Dans toute transaction, il est courant qu’une partie soit mieux informée qu’une autre. Dans le jargon économique, on parle alors d’asymétrie de l’information. Il est globalement dans le système capitaliste qu’une personne (en général un expert) en sache davantage qu’une autre (en général un consommateur). Mais avec l’arrivée d’Internet, d’innombrables asymétries de ce type ont disparu. (…) Internet a permis ce qu’aucun organisme de défense du consommateur n’a su accomplir: réduire considérablement le fossé séparant l’expert de l’acheteur lambda.

Le blog, un support de démonstration complémentaire du livre

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Une intéressante initiative vient de voir le jour. Elle est préfigure peut-être une nouvelle approche de la publication dans le milieu de la recherche, où format papier et format électronique se complètent mutuellement. Eric Brian, directeur d’étude à l’EHESS (son blog scientifique) et Marie Jaisson viennent de publier un livre aux éditions Raisons d’Agir, Le sexisme de la première heure, qui commence par l’avertissement suivant :

AVERTISSEMENT
Selon un usage qui s’est développé au cours des dernières années les sources de cette étude, les tableaux statistiques, les graphiques, les simulations et les annexes mathématiques ne sont pas donnés dans le présent volume, mais au moyen d’une documentation électronique librement accessible via internet. C’est donc l’ensemble des différents fichiers téléchargeables et des sections de ce livre qui forme, à proprement parler, la documentation de l’étude. Toutefois, le livre tel qu’il est publié peut circuler seul, un matériel critique suffisant étant procuré. En complément, le site propose les éléments que les lectrices et les lecteurs pourraient désirer consulter à titre de vérification, accompagnés de matériaux connexes et de textes anciens. Il propose aussi plusieurs simulations issues du calcul des probabilités qui restituent visuellement hypothèses et résultats, l’imprimé ne traduisant que formellement ou bien de manière très rudimentaire les effets de variabilité stochastique. Les auteurs pourront être amenés à développer ce site selon la réception de cette recherche, ou bien à revoir son articulation avec le livre. Au moment où paraît le livre, l’adresse du site est : http://s1h.blogspot.com

Cette initiative n’est peut-être pas nouvelle. Elle reste néanmoins très rare en France et en particulier pour un livre de sciences sociales non confidentiel (les Editions Raison d’agir ne sont pas une presse universitaire et trouvent facilement place chez les libraires généralistes).

A terme, il est tout à fait possible que les chercheurs en sciences sociales mobilisent le support qu’est Internet pour permettre au lecteur de compléter et d’enrichir sa lecture de l’ouvrage. En effet, un des reproches fait régulièrement aux chercheurs concerne l’appareil critique que ces derniers mobilisent pour argumenter et asseoir leur démonstration (condition qui reste souvent indispensable pour s’assurer du bien-fondé de leur analyse).

Sur le blog dédié au livre on peut consulter des animations vidéos de simulations statistiques, la bibliographie, les articles disponibles en ligne auxquels les auteurs font référence, une présentation de l’ouvrage au format mp3 (suite à une conférence sur Second Life dans l’espace Pierre Bourdieu) et bien d’autres choses.

La possibilité de consulter certaines données plus ou moins brutes (en tout cas sous une autre forme que celle à laquelle les livres nous ont habitués) va se démocratiser à l’ensemble du public et non plus aux quelques chercheurs qui, de par leur travail, peuvent accéder aux mêmes données que les auteurs. Elle permet, si d’autres s’en emparent, de donner une base de discussion collective sur les données récoltées et leur traitement.

Une telle initiative, si elle venait à se généraliser, engagerait une nouvelle forme de circulation du savoir des sciences sociales tout s’inscrivant dans le droit fil de son histoire : en effet, le livre reste la pierre angulaire de la diffusion d’un savoir à un public éclairé ; le blog ne le remplace pas, bien au contraire, il l’accompagne et l’enrichit. Le blog, dans cette configuration proposée par Eric Brian et Marie Jaisson, ne concurrence pas le livre mais le complète.

Encore une fois, ceci ne tuera pas cela. Et si, après les échecs à répétition du livre numérique, le succès d’un livre 2.0 ne résiderait pas dans cette formule hybride papier + www ?