De la conversation comme jeu

Nos glorieux prophètes ont fait de la conversation un slogan du web social.

En déambulant dans une impressionnante bibliothèque – la BNF en l’occurrence, je tombe sur un livre, Histoire de la conversation d’Emmanuel Godo (PUF, 2003). Parce que je déteste la platitude bien réglée des fiches de lecture (mal faites, elles ont un côté rapport de police), je partage avec vous quelques extraits d’un passage de l’introduction du bouquin (pp.1-13). L’auteur propose une analogie entre la conversation et le jeu… De quoi stimuler notre compréhension des publics numériques et en particulier des blogueurs :

« On entre en conversation comme on entre dans le jeu : on saisit la parole, comme la balle, au bond, on badine, revêtant, pour jouer, tel ou tel masque que l’on sait plaisant, on cherche à briller et à s’attirer les suffrages de l’histoire (…) Certains sujets plaisent, d’autres sont tabous, certaines attitudes, certains gestes, certaines poses, certaines phrases vont séduire et faire mouche, d’autres vont faire l’objet d’une réprobation unanime : on est ou l’on est pas dans le ton. Entrer dans la conversation implique de se plier à la loi de la communauté à laquelle on prétend s’agréger : on devient ainsi le jouet de soi-même, entre masque et sincérité.

« Qui dit jeu, dit espace de liberté, marge de manœuvre (…). Si les règles existent – soumises à fluctuation, mobiles, au gré des évolutions historiques, culturelles et sociales – chacun garde une part d’invention et d’interprétation (…). Une conversation, comme une manière de jouer, porte la signature de qui la profère – plus ou moins personnelle, plus ou moins virtuose, plus ou moins marquante.

« La conversation partage avec le jeu cette capacité de créer, à partir de rien ou de presque rien (…) un monde, en marge ou au cœur de la réalité. (…) Il y a dans la conversation quelque chose qui rapproche et qui protège : un espace particulier – le salon, le jardin, le boudoir, le fumoir -, un temps bien défini – les personnages de Marguerite de Navarre conversent de midi à quatre heures – , un but clairement établi – le bonheur, le progrès des connaissances, le divertissement, la notoriété-, et des règles qui sont autant de balises dans un monde qui, par ailleurs, en manque toujours cruellement.

« La sociabilité italienne, à la Renaissance, ou l’honnêteté française, au XVIIe siècle, confèrent à la conversation une fonction fondamentalement politique : il s’agit de réaliser, ne fût-ce qu’un instant, dans le partage d’une parole agréable et dans le respect mutuel, une communauté idéale et d’inventer, par là même, un mode de relation entre les êtres qui pourrait servir de modèle et de moteur – à la façon d’une utopie praticable – à une réformation de la société dans son ensemble.

No comment… Si ce collage en inspire certains…  😉

P.S. :  pour cette comparaison entre la conversation et le jeu, l’auteur – Emmanuel Godo s’appuie sur le travail Roger Caillois sur le jeu.

5 réponses à “De la conversation comme jeu

  1. Bon rapidement comme ça et puisque qu’on parle de Caillois, je pense à son fameux bouquin « les jeux et les hommes » avec ces éléments très intéressants :

    Caillois détermine 4 types de jeu :
    Agôn : compétition à partir du mérite de l’ingéniosité – pour faire simple – genre compétition sportive, échecs, etc)
    Alea : jeu basé sur le hasard (jeu de dés par exemple)
    Mimicry : jeu basé sur l’imitation
    Ilinx : jeu où l’on s’abandonne au vertige (voltige, j’ajouterais peut-être ici un grand nombre de jeux vidéo)

    Etonnant de voir à quel point les interactions sur le web pourraient relever de cette typologie :
    Agôn, ramènerait au mérite du blogueur en tant qu’auto-éditeur compulsif (effort) mais aussi « stratégique » (personal branding)
    Alea : relèverait notamment du buzz – ce gros éléphant qui débarque sans crier gare sur les fil RSS.
    Mimicry : relèverait des effets de cour observables dans beaucoup de commentaires de blogs
    Ilinx : relèverait des effet type google bombing, ou effet de meute, excitation collective autour d’un même motif, etc.

  2. Excellent ! Ca marche un peu moins pour Ilynx sauf a considerer que le vertige est celui de se mettre a nu sur le web. Vertige de la mise en ligne, vertige plus ou moins grans selon ce qu’on livre de soi. Le truc des blogueuses nues peut être considere comme relevant de ce jeu…

  3. Emmanuel Bruant

    Su-per !Le truc des blogueuses nues est quand même basé sur l’imitation, non ?
    Le vertige ce sont par exemple les trolls (cf. l’affaire morandini…), non ?

  4. Coucou !

    Je ne parlerais pas de « collage », mais de décollage là. Nan ?