Quand le journalisme se fait démolir sur Internet, 2/3 : les complaisances

Suite de notre série d’analyse sur les critiques dont le journalisme fait l’objet sur Internet, avec aujourd’hui les complaisances (premier billet : le rapport à Internet). Ce n’est pas un sujet complètement nouveau sur le web – Acrimed par exemple en ayant fait un de ses thèmes de prédilection.

En revanche, ce qui semble nouveau, c’est la multiplication de témoignages dénonçant les complaisances et compromissions journalistiques, sur des sites ou blogs plus généralistes que contestataires.

A ce sujet, Narvic a publié une incroyable confession, « De la corruption de la presse » à charge contre les complaisances et cadeaux réciproques entre journalistes et intérêts divers. Extrait :

« Je confesse que j’ai rédigé, à la demande de mon rédacteur en chef de l’époque, une fort longue série hebdomadaire d’articles de complaisance sur une exposition dite « de prestige », tellement passionnante que je suis bien sûr que personne n’a lu ma prose… Mais l’exposition se tenait au siège de la banque avec laquelle le journal était en train de négocier un gros emprunt… »

Cette confession fait aussi suite à des papiers de Rue89 et Arrêt Sur Images que nous avions signalés, au sujet des « cadeaux » aux journalistes. Autant de critiques de la complaisance des journalistes, qui mettent en lumière une certaine façon de fabriquer l’information… Critiques émises « de l’intérieur », par des journalistes.

On a beaucoup parlé d’Internet qui marque la fin du « off » dans les relations avec les politiques. Ne marque-t-il pas aussi, plus généralement, la fin du « off » dans les coulisses de l’information ?

Car, sans même parler de complaisances et pour aller au-delà de la question de la « démolition » du journalisme évoquée dans le titre du billet, c’est le back-office de l’information en général qui est mis à nu – exemples :

  • David Abiker qui s’agace des appels répétés, et mal ciblés, d’attachés de presse ;
  • Mry qui passe en revue les agences de communication ;
  • Le succès intellectuel et commercial de « Storytelling » de Christian Salmon (qui a maintenant sa rubrique dans le Monde)… qui met en lumière la notion de « stratégie de communication » aux yeux d’un public plus large que celui des initiés.

Bien sûr, on pourra dire que le fait que la notion même de communication soit mise en lumière dans les médias n’est pas nouveau. Arrêt sur Images est quand même passé à la télévision nationale tous les dimanches pendant 12 ans. Mais cette mise en lumière se fait, le plus souvent, sur des cas de communication de crise et de communication politique, donc sur des « grands cas » de communication. Ce qui change avec les exemples pris ici ? La « granularité » des exemples, leur « quotidienneté ».

N’y a-t-il donc pas, dans cette conjonction d’exemples, autant de faisceaux, de signaux faibles qui interpellent les professionnels de la communication ?

5 réponses à “Quand le journalisme se fait démolir sur Internet, 2/3 : les complaisances

  1. Bonjour, merci pour le lien 😉

    L’état de délabrement économique de la presse, qui pèse fortement sur l’emploi des journalistes et menace directement leur indépendance professionnelle, et leur perte de crédibilité auprès du public, que les commentaires sur internet illustre abondamment, contribuent probablement à cette conjonction, en effet explosive…

    Cohen et Lévy, dans leur livre « Notre métier a mal tourné » estiment même que « En cette année 2007, le vent, ou en tout cas la brise contestataire qui souffle dans les rédactions traduit un désarroi profond de la profession ». Ils ajoutent : « Ce n’est pas encore une révolution, mais ça ressemble bien à une – sourde – révolte. »

    La conjonction de la crise au Monde, à la Tribune, aux Echos et sur l’ensemble du service public Radio-France et France-Télévision, traduit ce malaise à mon avis, elle fait entrer toute la profession dans une zone de tempête…

  2. François Guillot

    et on devrait voir de plus en plus de journalistes témoigner de l’intérieur du système… sur internet.

  3. bonjour,
    un article de Patrick Champagne dans la revue Hermès 17-18 Communication et politique de 1995, intitulé la « double dépendance » traitait des rapports entre les champs journalistique, politique et économique insistant sur ce fait que le journalisme d’information semblait préoccupé par des problèmes de déontologie professionnelle. Il mettait en exergue cette ambiguité qui est le fait de la position qu’occupe le champ journalistique dans l’orbe du pouvoir, très puissant dans ses effets, vulnérable du fait de cette influence même parce que contrôlé et soumis dans son fonctionnement par les champs de l’économique et du politique notamment. « la presse, bien trop sérieuse pour être laissée aux seuls journalistes » selon l’expression consacrée…il invoquait la structure duale du champ journalistique du fait de son appartenance aux biens symboliques de grande diffusion surtout pour la presse télévisuelle. En relisant cet article je me demande si la visibilité accrue des faillites de la presse en terme de déontologie pourrait être un bien, et permettrait d’en redéfinir les contours tant s’amplifient les intrusions du champ économique : du texte à l’action, je suis sûre qu’internet a un pouvoir performatif 😉 et d’autre part, mais ce n’est pas très réfléchi, si cette hétéronomie ne pourrait pas happer la « parole » sur internet pour les mêmes raisons, du fait de son « influence ».

  4. François Guillot

    « je me demande si la visibilité accrue des faillites de la presse en terme de déontologie pourrait être un bien, et permettrait d’en redéfinir les contours »

    Je ne sais pas ! C’est à double tranchant. Comme toujours quand on « purge » un sujet : on peut se réconcilier ou se fâcher définitivement.

  5. A François,
    moi non plus je ne sais pas ! ma formulation était maladroite, je me demandais juste quelle intention dans ces dénonciations, une querelle de légitimité ? une désacralisation ? une croisade contre l’information partisane ? On dénonce souvent par défaut de légitimité. Cela peut constituer une stratégie de prise d’ascendance à partir d’un fondement encore fragile.
    Je trouve que ce n’est pas si évident à percevoir, pourquoi cette démolition.

    « Comme toujours quand on “purge” un sujet : on peut se réconcilier ou se fâcher définitivement ».
    Oui je sais bien.

    Cependant, entre la réconciliation et la rupture, il y a l’émulation et le journalisme de presse, pour reviser sa déontologie, a peut-être plus besoin d’émules que de pairs.