Et si la sagesse des foules c’était d’abord celle de se taire ?

Relevé chez François Laurent qui reprend sur son blog l’intervention de Philippe Jourdan (maître de conférence à l’IUT d’Evry Val d’Essonne et fondateur de Panel on the Web) au SEMO et intitulée « L’éthique en marketing » :

Selon plusieurs enquêtes désormais concordantes, un ratio très restreint – moins de 10% de la population aux Etats-Unis – participe aux enquêtes et aux sondages. En d’autre terme, seule une minorité régulièrement consultée participe à la définition des produits, des services, des campagnes, des modes qui s’imposent pourtant à tous.

Ce constat est particulièrement instructif : on voit que, dans les études comme dans les commentaires ou dans les sites participatifs, la production de l’information repose sur des groupes d’individus assez minoritaires qui assemblés représentent environ 10 ou 20% de la population générale (de la société, du site, etc.)… Une sorte de Loi de Pareto de l’opinion dont Internet est le grand révélateur comme Didier Durand le remarquait sur la question des plate-formes de vidéos et la contribution des amateurs. Les instituts de sondage comme les sites communautaires souffrent tous les deux du même phénomène : tout le monde n’a pas quelque chose à dire, tout le monde ne veut pas dire quelque chose tout le temps… C’est peut-être surtout ça la fameuse sagesse des foules 😉 ?. En tout cas les lieux et dispositifs pour saisir la parole des individus peuvent donc arriver à saturation.

Pour ce qui est de la question éthique en marketing et des enjeux professionnels que posent cette faible participation, je vous laisse lire les deux billets (number one et number two) publiés par François Laurent.

10 réponses à “Et si la sagesse des foules c’était d’abord celle de se taire ?

  1. Bonjour,

    Effectivement, la question est: la minorité loquace est-elle représentative de la majorité silencieuse?
    cordialement
    [Merci pour le lien!]
    didier

    • Emmanuel Bruant

      Exact… Et c’est de cette manière qu’on peut comprendre que malgré tous les outils qui existent pour écouter, prendre le pouls des consommateurs le taux de réussite des innovations est aussi faible. Car comme il n’y a pas automatiquement adéquation entre l’offre et la demande il n’y pas adéquation entre la demande exprimée (et observable a priori) et la demande réelle (observable elle a posteriori).

  2. Très intéressant. Pour avoir travaillé des années à réaliser des sondages, je sais que leurs résultats sont biaisés par le fait que souvent les gens n’ont rien à dire, et pour y avoir répondu (par pitié pour les enquêteurs) je sais que mes réponses, en y réfléchissant à deux fois, reflétaient la question et non mon avis…

  3. Emmanuel Bruant

    @ Fanette : tout à fait ! C’est bien ce que disait Bourdieu dans son petit texte percutant sur les sondages : « Un des effets les plus pernicieux de l’enquête d’opinion consiste précisément à mettre les gens en demeure de répondre à des questions qu’ils ne se sont pas posées ».

  4. Emmanuel,
    Je me demandais, si l’on transposait votre réflexion dans le débat sur la participation politique, si l’on ne parviendrait pas à des analyses similaires. Peut-être que Bourdieu (encore) invoquerait les effets de la structure sociale dans laquelle le sondage/vote s’accomplit, toutes ces distorsions qu’on ne mesure pas nécessairement dans les résultats. Je me demande même si penser ensemble « l’éthique et le marketing » ou « l’éthique et la politique » ne sonnent pas aussi curieusement l’un que l’autre.

    Le silencieux communique en quelque façon, mais il lui est impossible de le dire !

  5. Emmanuel Bruant

    @ Cécile : Aïe 😉 Je ne maitrise pas du tout les ressorts de l’abstention. Sur « éthique et marketing » ou « éthique et politique » je suis toujours gêné a priori par ce genre de mariage. En l’occurrence, quand on lit l’intervention on comprend que l’argumentation est (très grossièrement) la suivante : les gens ne répondent pas assez aux enquêtes, parce qu’ils en ont une mauvaise expérience et donc nous devons avoir une démarche professionnelle éthique. Donc le fait que les gens ne répondent pas assez est vu comme un problème avant d’être vu comme un fait (car on peut faire l’hypothèse, ce que je fais ici, qu’on a là une constante sociologique) ce qui biaise à mon avis le raisonnement et donc on se sent obligé de fait revenir l’éthique (ce qui est toujours une facilité dans un discours, quant à la pratique…;-) Mais c’est peut-être ce qui différencie un professionnel engagé d’un acteur un tout petit peu plus extérieur à ces enjeux 😉

  6. Bonjour Emmanuel

    Une petite note pour dire que pour une entreprise, c’est tout à fait comparable (surtout en B to B). A peu près 20% des clients communiquent sur/à l’entreprise, donnent leur avis, etc. C’est bien, mais une erreur de management consiste à n’écouter QUE ces 20%. Les 80% d’autres sont ce que j’appelle « la majorité silencieuse ». Elle génère tout de même 80% du CA !…

    Au plaisir,

    Gautier Girard.

  7. Sujet très intéressant effectivement ! Dans le même esprit, Forrester a identifié des profils d’internautes, en fonction de leur comportement sur me web social… L’institut met à disposition un outil très bien réalisé pour déterminer le spectre sociologique des internautes par âge et par pays :
    http://www.forrester.com/Groundswell/profile_tool.html
    On peut aisément constater qu’une grande majorité des internautes est muette !

  8. Emmanuel Bruant

    @ Gautier : merci pour cette précision sur les « clients vocaux » !! C’est super intéressant, car cela montre (comme ce que j’essayai de dire dans le billet) qu’on retrouve des proportions assez proche dans des univers très différents… Cela s’ajoute donc à la collection ;-), merci.

    @ Gilles : là encore… merci !!! Je n’avais plus en tête le groundswell de Forrester qui est un outil génial… Et effectivement il suffit de quelques clics pour voir la masse de « spectateurs » et « d’inactifs »… donc on confirme et on signe le constat ? 😉

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