Facebook nous appartient-il ? Un peu, pas beaucoup mais toujours passionnément

20-minutesFacebook fait polémique. Quand il n’est pas critiqué pour les dangers qu’il représente auprès des enfants et des adolescents, Facebook se prend les pieds dans son tapis – son modèle économique.

Paradoxe du cordonnier : alors que Facebook facilite les conversations entre pairs, l’entreprise enchaîne les malentendus et les incompréhensions avec ses utilisateurs.

À chaque fois, Facebook donne l’impression de faire machine arrière. Ce qui peut apparaître comme de l’ordre de la boulette à répétition (« un problème de communication » résumeront certains) est peut-être surtout un flottement des repères.  Facebook doit, en permanence, faire face au pouvoir de nuisance des médias, petits et grands, de la rumeur numérique issue de ses propres groupes aux JT. Pourquoi une entreprise si jeune est-elle sous le feu des médias ?

Pendant longtemps – et c’est encore le cas dans la grande majorité des secteurs productifs, la question était de savoir à qui appartiennent les moyens de production. Qui en est le propriétaire ? Comment distribuer les revenus issus de ces moyens de production ? Les réponses tournaient en fonction des points de vue politiques adoptés : actionnaires, salariés ou technostructure (ce que l’on appelle le management).

Mais aujourd’hui, une entreprise comme Facebook doit ajouter un nouvel entrant : ses usagers. Facebook ne peut pas, unilatéralement, modifier son service sans que son geste soit décortiqué, analysé, critiqué ou loué par ses « membres ». Les utilisateurs n’ont évidemment que le ministère de la parole – une position toujours à relativiser cela va de soi. Néanmoins, on sait aussi que la parole est devenue la valeur d’échange centrale de l’économie du web social. Facebook grandit parce que nous venons y parler, y écrire, y échanger. Wat, la plate-forme  de TF1 a longtemps eu du mal parce qu’elle n’arrivait à déclencher l’effet de réseau vertueux qui fait que le monde attire le monde.

En fins connaisseurs de ces marché à double face et aux effets de réseaux inhérents au web, les dirigeants de Facebook ne peuvent pas ne pas prendre en compte la dimension discursive des prises de positions de ses usagers (à la différence d’entreprises comme La Poste, la RATP ou la SNCF qui même si elles sont engagées dans de procédures d’écoute ne placent pas au coeur de leur stratégie les opinions des usagers). La gouvernance de Facebook est tributaire des opinions qui circulent sur le service.

Dans un sens, et à moins de fermer purement et simplement le site, Facebook doit prendre en compte ses utilisateurs dans la gestion de ses moyens de production – d’où son choix hier de les intégrer peu ou prou dans les processus de décission :

« Ce qui s’est passé la semaine dernière nous a rappelé que les utilisateurs cultivent un véritable sentiment de propriété, pas seulement sur les informations qu’ils partagent, mais également à propos de Facebook. Les entreprises comme les nôtres doivent développer de nouveaux modes de gouvernance » a déclaré Mark Zuckerberg.

Parce que les clients ou les utilisateurs sont de plus en plus intégrés au système de production des marques et des entreprises (cf. entre autres l’ouvrage de Marie-Anne Dujarier, Le travail du consommateur) il ne serait pas étonnant de retrouver le paradigme Facebook chez d’autres entreprises ou dans d’autres secteurs. A terme, à très long terme…

La décision de  Mark Zuckerberg montre que nous pourrions changer de paradigme dans la relation entreprises-usagers/consommateurs. Le modèle d’Albert Hirschman nous aide sur ce point. Cet économiste avait proposé une modélisation très simple des relations. Lorsqu’on est mécontent, pas d’accord, trois choix s’offrent à nous :

  • la loyauté – je ferme ma gueule et je continue parce que d’une manière ou d’une autre j’estime que le jeu n’en vaut pas la chandelle
  • exit – j’arrête d’acheter le produit ou d’utiliser le service
  • voice – je prends la parole pour dire tout le mal que j’en pense

Les procédures de prises de parole des consommateurs ou de contrôle de la paroles des consommateurs ne sont pas nouvelles (cf. les hotline, les numéros verts etc.). Néanmoins personne n’avait poussé aussi loin le dispositif voice. Enfin, il me semble… (contre-exemples bienvenus 😉

La décision rendue publique hier est symptomatique de l’imbrication étroite entre un réalisme économique et l’ére du temps :

  • réalisme économique parce que Mark Zuckerberg est obligé d’aller jusqu’au bout du modèle économique qu’il a développé. La superstructure de Facebook tendait à prendre ce genre de décision. Pourquoi ? 1) Parce que nous sommes Facebook. Facebook n’est pas grand chose sans ses utilisateurs. 2) Parce que nous sommes ses meilleurs représentants. Chacun de nous est un VRP, un commercial en puissance. Les nouveaux représentants des marques et des services web c’est nous. Donc c’est nous qui  assurons la monétisation (à venir ? sur la structure des coûts de Facebook, cf. F. Fillioux) et le développement commercial. C’est ça le vrai consomm-acteur dont on se gargarise (au fait, expression très largement utilisée dès les années 70 par les publicitaires). Economiquement parlant, les consommateurs devaient tôt ou tard obtenir une reconnaissance institutionnelle.
  • Mais la tendance même de la structure économique de Facebook n’aurait sûrement pas abouti sans le terreau idéologique et cuturel du web. Ce web dit social et dont les évangélistes de tout poil (c’est même une fonction assumée chez Google) annoncent la transparence, l’alchimie des multitudes et autres confiseries conceptuelles. D’ailleurs, tient que dit Mark ? :

« Notre objectif prioritaire est de rendre le monde plus ouvert et plus transparent. Nous croyons que si nous voulons que le monde aille dans cette direction, alors il nous faut donner l’exemple » (cf. le billet Governing the Facebook Service in an Open and Transparent Way)

Je serais bien mal placé pour prévoir si tout cela va aboutir ou non. L’histoire le dira. En tout cas nous l’aurons vu balbutier et nous proposer une nouvelle utopie : après l’autogestion et ses variantes, après la co-gestion à l’allemande, voici venu le temps de la tri-gestion à la Zuckerber.

Quelques liens pour aller plus loin :

  • Korben et le communiqué de Presse de Facebook.
  • RTL pour qui tout cela est une avancée démocratique tout comme 20minutes.fr dont nous avons repris le visuel.
  • Readwriteweb pour qui tout cela ressemble plus à un écran de fumée qu’autre chose.

6 réponses à “Facebook nous appartient-il ? Un peu, pas beaucoup mais toujours passionnément

  1. Article intéressant (à lire et à analyser). Cependant, je relèverais une chose importante. Facebook a réussi quelque chose que peu de services web ont eu la chance de disposer : cette attraction qui pousse l’utilisateur à utiliser le site et y rester. Tout le monde ne s’y sent pas bien mais le plus gros des utilisateurs est là. Et ça l’entreprise la compris. Alors de là à se demander si il y a un problème de gouvernance, je crois que c’est une fausse ouverture de la part du service, seulement Facebook a vu qu’ils avaient commis des erreurs d’appréciations. Pour moi ça s’arrête là et à vrai dire je ne suis pas très intéressé par cette actualité. Mais qui l’est réellement en toute honnêteté ?

  2. Emmanuel Bruant

    @Paul-Henri : peut-être que c’est une « fausse » ouverture effectivement. Cela se tient. Néanmoins, c’est justement le principe « idéologique et économique » du modèle de FB qui « oblige » à cette ouverture. Parce que si c’est faux pourquoi le faire ? Peut-être parce que FB est contraint par l’opinion de ses utilisateurs. DAns une entreprise classique, on aurait compté uniquement sur la loyauté ou l’exit des consommateurs. Le problème de FB c’est que l’entreprise ne peut pas se permettre de perdre des consommateurs (au risque de casser l’effet réseau) et ne peut pas compter sur la loyauté (le j’en pense pas moins mais je le dis pas) parce que son modèle idéologique est celui de la parole. Donc peut-être que c’est faux, mais c’est très cohérent avec le positionnement symbolique de l’entreprise

  3. A ce sujet, il est vrai que l’effet réseau perd de son poids lorsque par exemple, je rencontre des gens qui ne sont pas sur Facebook et inversement, c’est un outil puissant parce que cela m’a permis de constituer des relations durables via internet.

    Par conséquent, est-ce la vraie question de savoir si Facebook a un modèle idéologique ? L’utilisateur lambda s’en fout totalement je pense, et le moins lambda comme vous — je ne vous ai pas trouvé sur facebook d’ailleurs — et moi, se pose plutôt les problématiques d’efficacité économique, mais il est vrai que les deux sont intimement liés, j’en conviens.

  4. Emmanuel Bruant

    @ Paul Henri : le fait que des groupes se soient constitués sur FB pour se « plaindre » ou faire plier, revenir en arrière FB montre qu’il existe un enjeu moral (et qui donc se fonde sur des poinst normatifs).
    Et je suis sur FB mais sous mon vrai nom – Bruant est un pesudo. Je n’ai pas poussé le vice jusqu’à créer mon pseudo-avatar sur FB 😉

  5. [ Enikao ]

    Il est vrai qu’une prise de parole à l’intérieur même de ce qui fait le potentiel économique de l’entreprise, c’est assez inédit. Quelque part, c’est comme un mouvement de protestation de la part des salariés à l’intérieur de l’entreprise, en se servant des moyens techniques d’ycelle (mais sans abus de bien sociaux ou détérioration de matériel, en l’occurence).

    Ce qui est gênant avec Facebook, c’est que pour contrôler ce qu’on dit de moi dedans (photos taguées, par exemple), il faut… y être. C’est quand même un peu léonin, comme contrat. Les plus avantagés sont ceux qui ont un patronyme très courant.

    Le danger pour Facebook était que si nous ne mettions plus rien en ligne, nous n’y retournerions pas. Et son modèle (de l’audience, des visites fréquentes, le réseautage, le suivi des amis) en prendrait un coup énorme. Si un jour Facebook devient pénible (mauvaise interface) ou si on n’y trouve plus rien d’intéressant, on n’y retournera pas.

    Zuckerberg est en revanche un peu coincé par l’utilisation multiplateforme, et peut-être que question de la propriété des données vient de là. Si les infos Facebook sont utilisables ailleurs, celui qui met un terme à son profil voit ses données toujours disponibles ailleurs par capillarité… (pas sûr que ce soit clair, si ?).

    @Paul-Henri & @ Emmanuel : on peut aussi être sur Facebook avec son vrai nom… mais introuvable par le moteur de recherche interne et externe. C’est une fonctionnalité de confidentialité avancée dont parlait Korben il y a un petit mois (10 trucs pour gérer la confidentialité sur Facebook).

  6. Emmanuel Bruant

    @ Enikao : je suis sûr Facebook avec mon vrai nom – E. Bruant est un pseudo ! Et je n’ai aucun problème avec ça car oui on peut très bien être discret sur Facebook et la Toile…