« Médias et Internet : le nouvel écosystème médiatique » (un résumé de la rencontre du 22 novembre)

Bravant les grèves, nous avons tenu jeudi dernier nos dernières « Rencontres du Management de la Communication », événements professionnels organisés par i&e à l’attention de ses clients, prospects, partenaires et amis.

RMC

Le thème : « Médias et Internet : le nouvel écosystème médiatique ». Nous étions 4 intervenants : Pascal Riché de Rue89.com et trois représentants de l’agence : Iannis Aït-Ali, responsable du Centre d’Expertise Médias, Jean-Pierre Beaudoin qu’on ne présente pas et votre serviteur. Pour ceux qui n’ont pu être là et pour ceux qui souhaitent continuer la conversation, je retiens quelques messages-clé pour chacune des inteventions (dans l’ordre chronologique) :

Pascal : l’information traditionnelle est actuellement soumise à un double choc: un choc technologique (l’irruption du Web 2.0) d’un côté et la crise de défiance vis-à-vis des médias traditionnels, de l’autre. D’où le succès de Rue89. L’expérience de blogging des correspondants de Libé à l’étranger qui ont fondé Rue89 (Pascal Riché, Pierre Haski, Laurent Mauriac) leur a fait découvrir une autre façon de faire du journalisme: un journalisme « de conversation » (avec le lecteur) et non un jouralisme vertical, où l’on se contente d’octroyer de l’information, de haut en bas. Rue89 réconccilie le journalisme professionnel avec la culture de l’internet, en s’affranchissant de bien des formats désormais dépassés. On mèle texte son et vidéo, l’écriture est libérée, le rapport à l’information sensiblement modifié : moins de top down (Rue89 n’est pas abonné à des fils d’agence de presse, pour échapper à l’agenda médiatique) et plus d’échange avec les internautes: ils sont à l’origine de plusieurs scoops qui ont accéléré le succès du site (on pense évidemment au scoop JDD – Cécilia n’a pas voté). Le succès du site, avec près d’un million de visiteurs par mois au bout de 6 mois, dépasse les espérances : ces chiffres étaient attendus pour fin 2008.

Votre serviteur : le paysage des médias connaît une période de destruction créatrice. Le web 2.0 favorise l’émergence d’une longue traîne médiatique : un monde horizontal fait de médias personnels dont les influences sont des influences de niche. La principale distinction à faire n’est pas entre offline et online, mais entre médias faits par des pros de l’information et médias personnels. C’est toute la consommation d’information qui est bouleversée : en favorisant le search, le surf, l’abonnement, le partage et la conversation, le web 2.0 rend l’information moins subie et plus choisie et permet au lecteur de devenir plus expert. Ce sont autant d’éléments que le communicant doit prendre en compte ; ces nouveaux territoires présentent de nouveaux risques et de nouvelles opportunités, et invitent l’émetteur d’information à entrer dans des logiques moins top-down, avec un discours moins insitutionnel et des formats diversifiés.

Iannis : les médias dits « traditionnels » restent structurants dans l’opinion car ils sont les producteurs d’information, sont ceux qui réalisent les plus fortes audiences et s’appuient sur un capital-marque. Là où la presse écrite, la télévision et la radio sont forts sur l’information et la mise en perspective, Internet ajoute du commentaire. Par ailleurs, l’attrait pour Internet ne doit pas bouleverser la façon de penser une stratégie de communication. Les questions à se poser (dire quoi, à qui, pourquoi et comment) sont immuables. Il n’y a pas deux mondes séparés, le réel et le virtuel, mais des organisations et des publics qui ont des relations. L’intégration du on et off doit donc être une donnée au moment de la réflexion stratégique, qui devra tenir compte des spécificités du online : les blogs sont des médias, mais les blogueurs ne sont pas des journalistes. A partir de là, des règles de bonnes pratiques existent, qu’il faut bien intégrer, et les stratégies de RP online apportent des bénéfices complémentaires des stratégies médias.

Jean-Pierre : le web 2.0 est construit sur les mêmes éléments constitutifs que les marques : un réseau, une communauté, un partage de valeurs et une fidélité. Pour autant, est-ce « the match » (le fit) ? Car là où les marques sont dans des logiques de marché, le web 2.0 est dans une logique de société. Est-ce donc « le match » (l’affrontement) ? La logique de marché ne peut s’imposer à la logique de société car elle crée du rejet. Quant à la logique de société, elle s’invite toute seule dans la logique de marché. Aux marques de penser à la fois leurs valeurs et leur usage pour devenir des points de repère dans le monde de la longue traîne.

La conversation est ouverte.

11 réponses à “« Médias et Internet : le nouvel écosystème médiatique » (un résumé de la rencontre du 22 novembre)

  1. j’aime bien l’idée de « destruction créatrice » et je trouve dans ces propos des éléments pour penser une consommation (j’allais écrire communication) plus avertie sur internet. Le manteau de lucidité existe peut-être bel et bien.
    Il y a juste quelques idées que je ne comprends pas trop  » la logique de société s’invite dasn la logique du marché », ce n’est pas un jugement, c’est juste que je ne comprends pas les termes et de mêmes quelqu’un peut m’expliquer quels sont les tenants et aboutissants, juste en quelques mots, de la crise de défiance envers les médias traditionnels ?

  2. François Guillot

    Cécile, pour vous apporter un élément de réponse sur la défiance envers les médias traditionnels, vous pouvez jeter un oeil au baromètre TNS pour la Croix :
    http://www.tns-sofres.com/etudes/pol/140207_confmedias_r.htm
    Il mesure l’évolution de la confiance dans les médias, donc le résultat de cette crise de défiance (dont la manifestation la plus criante de ces dernières années a sans doute été le référendum de 2005).
    Quant aux causes… elles sont certainement multiples (situation économique des rédactions qui ne leur permet pas de faire leur travail confortablement ; médias critiqués pour leur manque d’indépendance ; etc.)

  3. Bonjour,
    merci beaucoup !!!
    Défiance peut-être envers l’utilisation de l’image ? Puisque la radio ne s’en tire pas si mal. Quoique. Je me souviens d’un message où vous aviez cité quelqu’un de france culture qui témoignait de l’impossibilité de rivaliser avec Internet. Du coup de conjoncturelle (réferendum de 2005) la défiance serait devenue structurelle (avec l’apparition massive et irreversible d’internet dans les foyers) ? Mais où trouver les outils pour procéder à la vérification des faits tels qu’ils sont advenus et où faire l’épreuve des événements tels qu’ils se sont manifestés en vrai pour ensuite jeter le discrédit sur la presse ? Si la presse a eu tort, n »est-ce pas bien toujours elle qui le dit ?

  4. François Guillot

    La télévision est clairement le média envers lequel la confiance se dégrade le plus. Concernant le billet que j’avais rédigé sur France Info, il s’agissait davantage d’une explication de la perte d’audience par une perte de monopole sur l’info rapide que d’une explication de perte d’audience par une perte de confiance.
    Il me semble qu’on peut quand même parler d’une crise de défiance structurelle. Et comme vous le soulignez, c’est une affaire de perceptions puisque l’info « vraie » n’existe pas. Par contre « la presse a (eu) tort » vient aussi (beaucoup) d’Internet, je pense.

  5. merci de votre réponse. j’ai essayé depuis de regarder un peu comment Internet invalidait parfois les informations de la presse télé par exemple et ce sont plutôt des blogs qui s’en chargent, est-ce qu’on pourrait dire que ce sont les voix de la société civile qui créent un débat contradictoire ? je suis en train de réfléchir sur la possibilité de penser l’existence ou non d’un espace de délibération quant aux décisions médicales, du coup les initiatives privées qui prennent sens collectivement ça m’interpelle, de même que l’usage d’internet par les grévistes, c’est un peu toujours des « populations vulnérables » qui cherchent à optimaliser et accroître leurs moyens de défense, je ne sais pas.
    je me demandais si la version longue de votre conférence est consultable en ligne ?

    îl y a mardi, mercredi et jeudi prochains, vous le savez sûrement, un ensemble de conférences avec notamment le créateur de facebook, je ne sais pas si je pourrai y aller… mais je pense que des comptes rendus seront faits…
    et puis si certains ont la chance d’avoir cinécinéma classic il y a un film de charles chaplin vendredi 7 décembre qui s’appelle l’opinion publique, à 20.45, un film qui avait été censuré à sa sortie en 1923.
    je retourne au monde réel.

  6. François Guillot

    Internet étant facile d’accès il est depuis le début le média des sans-voix, donc des « populations vulnérables » et aussi des populations contestataires… C’est la gratuité de l’objet qui veut ça.

    Pour la conférence désolé non elle a été filmée mais pour un usage interne à i&e, quant aux slides c’est à la fois un peu sensible pour nous au niveau concurrentiel et pas forcément si intéressant (car slides pas très écrits, plutôt imagés).

  7. …hmmm peut-être pas si facile d’accès à mon avis, (je me demande si certains dispositifs publicitaires et communicationnels propres à l’Internet ne vulnérabilisent pas les usagers parfois ?) et peut-être surtout pas depuis le début, mais en train de devenir plus le média des « sans voix », je suis d’accord avec vous. La gratuité et le fait de ne pas être directement exposé ? Plus facile de voter sur internet la fin d’une grêve qu’à mains levées ?
    Pour la conférence, ça n’a pas trop d’importance, je ne savais pas trop ce que c’était i&e, ni rue89 et à écouter vos échanges je pensais à quelque chose de plus institutionnel type observatoire des médias, et il y a tant de sources d’infos sur le Web 2.0 que vous n’avez pas besoin d’être désolé 🙂

  8. Si Cécile est toujours là deux mois après sa question du 26 novembre et toujours intéressée à la question « logique de marché vs. logique d’opinion », je lui propose d’aller à l’adresse suivante: http://www.histoiresdevies.com/syntec-rp/
    Elle y trouvera une série de courtes vidéos sur le sujet de divers points de vue, dont, modestement, le mien, autour de ce thème précisément.
    Bonne soirée !

  9. Bonjour,
    c’est chic, merci…
    Ce qui est drôlement palpitant, si j’ai à peu près compris, c’est qu’une logique de marché plus plastique à l’écoute de ce que vous nommez le risque d’opinion pourrait avoir peut-être des effets instituants également dans le domaine de l’innovation. Etre attentif à l’opinion ce serait plus que protéger la marque, ce serait la rendre familière voire essentielle au consommateur, sa propre marque, comme s’il en induisait des spécificités.
    Je ne sais pas si le parallèlisme est possible mais la question de la pertinence d’une logique de marché in-formée par les émois de l’opinion fait un peu échos pour moi aux tendances qui re-configurent la constitution du droit contemporain qui semble délaisser un procès d’élaboration axiomatico-déductif, de considération des événementsà l’aune de principes normatifs déjà éprouvés vers la constitution d’une décision opératoire pour un problème spécifique. Si le droit peut tenir ensemble rationalité et praxis, l’économie le peut peut-être aussi ?

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