Flashmob et jeu vidéo : la contestation universitaire se diversifie en ligne

Les enseignants-chercheurs sont désormais accompagnés dans leur mouvement par leurs étudiants. Le mouvement ne s’essouffle pas, la prochaine grande manifestation étant prévue pour jeudi 19 février. Plus la mobilisation s’éternise plus les expressions de cette mobilisation se diversifie. Les protestataires s’organisent. Après les premiers jours où régnaient parfois l’attentisme et l’improvisation – phase d’apprentissage et de coordination oblige, les enseignants chercheurs sont entrés dans une phase de consolidation de la contestation. Et cela s’exprime aussi sur le net.

Jusqu’ici, outre les mails qui circulent sur les nombreuses listes de chercheurs, la mobilisation en ligne s’est concentrée sur des vidéos (cf mon billet précédent), rapidement montées et sans prétention – notamment un montage du discours de Nicolas Sarkozy (dont Cyril Lemieux propose une analyse très éclairante par ici; le sociologue montre très bien, en mobilisant Erving Goffman et sa sociologie des interactions personnelles, comment Nicolas Sarkozy s’avère incapable de « calmer le jobard » c’est-à-dire d’instaurer un climat de confiance et de réciprocité qui calme votre interlocuteur, le met en confiance et le rend de fait plus réceptif à votre cause).

Mais déjà  de nouveaux formats de contestation apparaissent et diversifient le répertoire d’actions collectives de ce mouvement. Des formats étroitement liés à l’utilisation d’internet :

flashmobLe flashmob (flashmob à venir mercredi 18 février) : les participants liront à haute voix un extrait de leur livre préféré pendant 5 minutes puis se disperseront.

L’initiative en revient au département Arts Plastiques de Paris VIII. Le flashmob, malgré quelques coups d’éclats, reste un type d’action pour happy few technophiles ou d’amoureux des marques. Serait-il en train de s’installer comme une nouvelle manière de manifester son opposition ? Une alternative ponctuelle aux grands rassemblements que sont les manifestations ? Le flashmob est à la manifestation ce que la pub est au JT en quelque sorte… Car il faut bien combler et rythmer le temps entre deux grandes manifestations. Le flashmob en raison de son caractère encore un peu mystérieux et de sa contrainte de « créativité » (on ne se déplace pas complétement pour rien, on est attiré par le beau geste, la bonne idée) diversifie le répertoire d’action collective des grévistes et assure une respiration plus légère intéressante (on ne peut pas être sérieux tout le temps, non ?;-).pécresse-sandale

Le jeux vidéo en ligne est une autre manière de participer au mouvement. Le jeu s’appelle en l’occurence le Classement de sandales (en référence au classement de Shangaï qui a fait couler beaucoup d’encre chez les pro comme chez les anti-réforme). Devant votre écran, une classe d’étudiants. Trois rangs devant un tableau noir sur lequel vont défiler des photos de Valérie Pécresse et de Nicolas Sarkozy (en points bonus). Cliquez sur l’étudiant et voici qu’il lance une sandale sur Valérie ou Nicolas. Touchez-les et leurs visages deviennent une courte flaque de sang numérique. J’ai oublié de préciser qu’avant de jouer vous avez sélectionné votre université. Plus vous gagnez de points au jeu, plus vous faites monter votre université dans le classement de Sandales.

Deux remarques sur ce jeux vidéo :

– Il est très intéressant de noter le chemin parcouru depuis les premiers petits jeux de Shoot Them Up bien pixellisés et développés dans l’ambiance post-11 septembre (on nous a proposé de tuer et retuer Ben Laden, puis Georges Bush, puis Saddam Hussein, puis toujours Georges Bush). Ce type de jeu avait trouvé un « renouveau » après l’histoire de la sandale. Et force est de constater que la chaussure est devenue une synecdoque de la protestation… Un symbole : les chaussures fleurissaient dans le cortège du 29 janvier dernier; des chercheurs en ont fait une vidéo aidés de Mediapart et désormais on en fait un jeux vidéo dans un contexte franco-français. On tient là un beau cas d’acculturation mondialisée et de transsubtantiation symbolique (souvenez-nous de cette expression bien lourde piquée chez Bourdieu… on en avait déjà parlé à propos du terme Grenelle… c’était là). photo_0302_459_306_170111

– D’autre part, il est notable de voir à quel point les dernières mobilisations collective jouent avec les corps de nos gouvernants. Je l’avais déjà noté à propos de la poupée vaudou géante lors de la manifestation contre la réforme de l’audiovisuel public. Notre président a énormément mis en avant son corps dans la gestion symbolique de sa politique. On voit à quel point cette mise en avant s’avère très difficile à assumer par gros temps.

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L’époque est donc à la l’apparition ou au retour de nouvelles formes d’action collective (il faudrait citer également les cercles de silence en soutien aux sans-papiers). Rien d’étonnant à cela, c’est même une banalité quand on s’intéresse un tant soit peu à cette question (et pour ceux que cela intéresse, je conseille cette interview de l’historien Charles Tilly à la revue Vacarme dans lequel il revient sur sa fameuse expression de « répertoire d’action collective »).

En revanche, il est toujours instructif de voir sous nos yeux les phénomènes d’importations et de construction de ces formes d’action : importation de modèles issus de l’art contemporain, du marketing (pardon du street marketing, ces bad boys d’HEC), de la culture geek américaine et de l’actualité géo-politique… Des importations qui, en ligne, permettent au mouvement de ne pas s’enliser et lui offrent des moments de respiration, plus ou moins légers, plus ou moins drôles, ça chacun appréciera…

9 réponses à “Flashmob et jeu vidéo : la contestation universitaire se diversifie en ligne

  1. Bonsoir Emmanuel, très intéressant ce billet. Il donne envie de jeter un oeil du côté des réseaux et autres sites de soutien au mouvement. Car là réside aussi une permanence toute nouvelle pour des mouvements historiquement d’une journée – ou d’une période.

    Il est passionnant de voir comment internet déstructure totalement notre rapport à un objet fini. Ici ce sont les manifestations ; pour les médias ce sont les actualités.

    I y a un point commun, pour tous : si tout dure tout le temps, quel est l’impact ? Si une manifestation attire 2 millions de personnes, qui nous dit que la suivante ne va pas en attirer 3 ?

  2. Sur les cercles de silence, très pointu reportage dans le numéro de XXI consacré aux religions.

  3. Billet très intéressant en effet Emmanuel. N’y aurait-il pas également une « importation » de mai 68 avec son côté agit-prop ? A croire que certains ont lu aussi Debord…

  4. Emmanuel Bruant

    @ Alex : oui, l’article de XXI était très instructif
    @ Laurent : Si les étudiants en arts plastiques ou en sciences sociales n’ont pas lu Guy Debord alors où va-t-on ? 😉

  5. Etes-vous allé place Saint Michel à midi pille mercredi ? Il y avait du monde ?
    Cette idée évoque un peu ce film de Truffaut, Fahrenheit 451, une adaptation d’un livre de Ray Bradbury (?) mais je ne suis plus sûre. Dans ce monde de fiction-là on lit pour s’opposer au pouvoir.
    Les livres sont brûlés par les pompiers… et ceux qui les aiment, des dissidents…

  6. Emmanuel Bruant

    @Cecile : non je n’y étais pas. Et je n’avais pas pensé à cette référence, effectivement.

  7. Dans « Pour une esthétique de la réception », Jauss traite de l’expérience esthétique en des termes qui peuvent être intéressants dans le cadre de cet événement que vous évoquez. Il convoque les concepts d’exemplarité, de communication sympathique et d’appel conatif afin de définir plus précisément le mécanisme qui, d’une expérience esthétique aboutit à une action symbolique. Il poursuit en invoquant les effets de communication que peut produire l’art dans la société en termes « d’effets créateurs de normes ». J’ai confusément cette impression que l’on pourrait transposer ces effets dans l’usage créatif de l’Internet que vous saisissiez à travers ces nouveaux outils d’expression. Il y a ce passage que j’ai trouvé intéressant, sur ces effets créateurs de normes et que l’on peut peut-être mettre en rapport avec la symbolique du livre lu à haute voix dans la ville : « Y seraient inclus aussi bien l’effet produit par l’art héroïque qui pose, fonde, exalte et légitime des normes nouvelles, que le rôle immense joué par l’art à tendance didactique dans la transmission , la diffusion et l’élucidation du savoir existentiel amassé dans la pratique quotidienne et que chaque génération doit transmettre à la suivante. » (il cite Berger et Luckmann : « la réalité comme construction sociale : une théorie de la sociologie du savoir »). p 164, ed Tel gallimard

  8. À mon sens la flashmob était ratée en tant que flashmob (personne n’a été surpris par l’évènement, tout le monde était là pour ça) mais réussie en tant que performance ou en tant que mobilisation tout court.

  9. Pingback: La poupée Vaudou de Sarkozy : retour sur l’affaire par Jeanne Favret-Saada « internet et opinion(s) - françois guillot et emmanuel bruant - web, médias, communication, influence, etc.