Comme annoncé dans le post précédent, nous avons été sollicités par CNN.com dans le cadre de sa semaine consacrée à la France. Le jeu consiste à participer au débat sur l’image de la France en répondant à plusieurs questions, qui comme vous allez le voir sont aussi vastes qu’elles sont simples.
(Miracle de la question journalistique : plus elle est simple ou évidente, plus la réponse est difficile et complexe).
Nous nous prêtons donc au jeu avec plaisir mais dans la mesure de nos compétences… Ce qui nous amène à répondre à deux des cinq questions.
Question 1. Pensez-vous que la France ait changé d’image ? Comment définiriez-vous ce nouveau visage ? S’agit-il pour vous d’un concept médiatique ou d’une réalité ?
Pour apporter une réponse à cette question, nous nous basons sur un petit test sur l’image de la France que nous avons réalisé à partir de Yahoo ! Questions : nous avons demandé sur Yahoo.fr puis sur Yahoo.com ce qui passe par la tête des gens quand on leur dit « La France ».
Ce test n’a bien sûr aucun caractère représentatif, mais on voit que les quelques réponses obtenues sur yahoo.com touchent à la culture et aux modes de vie : les coupes de cheveux des femmes, la Tour Eiffel, l’amour, la bouffe, les cafés, les croissants, le fromage, les bérets. Bref les images d’Epinal.
Sur Yahoo.fr ressortent également des images d’Epinal, mais aussi des images historiques et politiques : liberté, égalité, fraternité, les droits de l’homme, « pays pourri », « racisme », etc.
Ce petit sondage vient confirmer plusieurs considérations que l’on peut faire intuitivement sur l’image de la France :
– D’abord, l’image d’un pays à l’étranger repose peut-être sur les facteurs culturels et les modes de vie avant de reposer sur l’actualité politique. Et ce socle culturel ne bouge pas facilement. Nous serions donc assez prudents avec l’idée de dire que l’image de la France a changé. Une image, surtout, pour une institution aussi énorme, ça ne bouge pas facilement. Même quand ça bouge de partout.
– Ensuite, il faut bien avoir en tête que la question de l’image de la France intéresse… les Français. C’est une question qu’on se pose en France et qui ne se pose pas de la même façon à l’étranger. Au niveau individuel, notre prisme est nous inquiéter de notre image et de croire que les autres pensent à nous autant que nous pensons à nous mêmes. Ce qui est bien entendu faux puisque les autres ont autre chose à faire que de penser à et de parler de nous.
Au niveau collectif le phénomène est identique, on peut appeler ça de l’ethnocentrisme : les Français (ou des Français) s’interrogent sur leur image à l’étranger, alors qu’à l’étranger, on s’intéresse beaucoup moins à la France que ce que les Français croient… Le petit sondage Yahoo ! Questions nous semble aller dans le sens de cette idée.
– Enfin, ayons en tête que les médias ne sont qu’un facteur parmi d’autres dans la formation de nos images et de nos opinions. Et en particulier pour ce qui concerne un pays, les images se font à travers une expérience personnelle (« j’y ai été, j’ai trouvé que la France était un pays où les gens sont sales et malpolis »), au travers des relations interpersonnelles (« j’ai un copain qui connaît, il a vraiment trouvé que Sarkozy avait mis de l’ordre… »), des images collectives (« les Français sont toujours en retard… »), etc.
A l’arrivée et pour reprendre la question posée (« concept médiatique ou réalité »), si certains pensent que la France a changé d’image, on aura effectivement envie de leur demander s’ils ne sont pas biaisés par les représentations médiatiques.
Question 4. Quels sont à vos yeux les Français les plus influents ?
Nous avons très envie de répondre à cette question, mais sans vraiment livrer de noms ;-). Et ce pour deux raisons.
D’abord, parce que l’influence, quand elle existe, est toujours une influence thématique. On a certainement des « Français les plus influents » dans la cuisine, dans les médias, dans la politique, dans la mode… Mais il est difficile de parler d’influence en général. Les Français les plus influents, oui, mais influents sur quoi ? Sur notre image à l’étranger ? Sur les opinions en France ? Et sur quelles opinions ?
Savez-vous par exemple qui est la seule personnalité française à faire partie du top 50 des personnalités les plus influentes dans le monde selon le magazine Time ?
Non, il ne s’agit pas de Nicolas Sarkozy, de Laurence Parisot, de Bernard Arnault, de Pascal Lamy, de DSK, de Yannick Noah, de Nonce Paolini ou des auteurs des Guignols de l’info… mais de Carine Roitfeld, la rédactrice en chef de Vogue. Une personnalité influente mondialement… dans le domaine de la mode.
De plus, dire : « les Français les plus influents sont… » revient à cautionner l’idée que l’influence est le fait d’une petite élite qui une a une forte emprise sur le reste de la population. Une poignée fait l’opinion, le reste suit.
Les choses sont en réalité beaucoup plus complexes, et l’image de l’influence est certainement plus proche de celle d’une longue traîne que de celle d’une pyramide ou d’une cascade.
Alors même dans la longue traîne, il y a un haut avec peu de monde et un bas avec beaucoup de monde. Mais dans la longue traîne, la valeur est dans la partie basse. Dire « les plus influents sont », cela reviendrait à négliger que l’influence est une somme de micro-phénomènes complexes et non maîtrisables. Nous sommes tous influents, à différents niveaux, sur différents sujets.
Cette idée rejoint celle de Thierry Crouzet dans le chapitre de son livre Le Cinquième Pouvoir consacré à la Batille de Borodino (1). En s’appuyant sur le récit de Tolstoï, Thierry nous interroge : si l’influence n’était pas le fait des généraux trop en retrait du champ de bataille pour donner des ordres qui modifient le cours de choses, mais au contraire le résultat des décisions des soldats sur le terrain ?
Dans cet ordre d’idée, un des Français les plus influents de ces derniers mois a peut-être bien été un homme de terrain, influent sans le vouloir : Jérôme Kerviel.
Les questions 2, 3 et 5 dépassent la vocation et la compétence d’Internet et Opinion(s) et sont en débat chez CNN.
(1) Cf. cet extrait d’un chat de Thierry Crouzet avec l’Internaute :
« Thierry Crouzet utilise l’exemple de la bataille de Borodino, qui a eu lieu en 1812, entre les Français conduits par Napoléon et les Russes dirigés par le Général Koutouzov, pour illustrer l’idée selon laquelle un effet n’est pas le résultat d’une cause unique mais celui de plusieurs mécanismes imprévisibles. Tolstoï décrivait déjà cette bataille dans « Guerre et paix » et expliquait qu’elle n’avait pas été provoquée par la volonté des deux personnages historiques, mais par une multitude de facteurs. »